Il y a quelque chose d'emblématique dans Tartuffe de Molière, qui a ouvert, lundi soir, la saison du Théâtre du Nouveau Monde, celle de son 65anniversaire. Pas seulement parce qu'on affiche une pièce du «mythique» dramaturge du TNM; l'auteur de L'avare est le plus joué de l'histoire de la compagnie et celui qui lui a permis d'obtenir ses plus grands succès. Mais aussi parce que cette production hésite (comme d'autres «classiques d'hier et de demain» montés au TNM) entre deux propositions: l'une ancienne, l'autre moderne. Sans choisir son camp.

Le metteur en scène Denis Marleau transpose l'action en 1969, dans un Québec en pleine mutation sociale, post-clergé, au crépuscule de la Révolution tranquille. Demeurant fidèle à la version finale de Le Tartuffe ou l'Imposteur, de 1669, Marleau n'a pas adapté ni remanié le texte en vers. Sa (re)lecture se situe uniquement dans ce «déplacement temporel». Ce qui provoque, au début, un curieux décalage: les alexandrins du XVIIsiècle sont dits par des personnages avec un look sixties dans les costumes de Michèle Hamel. On croirait assister à une version psychotronique d'une pièce de Réjean Ducharme!

En attendant Tartuffe...

Tartuffe s'ouvre lentement, laborieusement. La vie paisible d'une famille est bousculée par la présence d'un intrus au foyer. Orgon est un riche bourgeois abusé par Tartuffe; il en fait son directeur de conscience et (les gourous ne datent pas d'hier) lui voue une confiance aveugle. Au grand dam de sa femme (Anne-Marie Cadieux, plus hilarante que jamais!), ses enfants et sa domestique, Dorine, jouée par une Violette Chauveau en grande forme, qui rend le franc-parler et le gros bon sens de son personnage. Dans le rôle d'Orgon, Benoît Brière se débrouille à merveille dans l'univers de Molière. L'acteur nous fait ressentir la détresse du patriarche, qui a perdu ses repères.

Tartuffe entre en scène à l'acte 3, après 50 minutes. Or, la maison d'Orgon est déjà sens dessus dessous par la présence du faux dévot, dont l'ombre plane au-dessus de l'appartement luxueux et design (le décor, signé Max-Otto Fauteux, évoque Habitat 67 de l'architecte Moshe Safdie). Avec son arrivée, le spectacle prend véritablement son envol et nous réserve des moments très forts.

Dans la peau de l'imposteur, Emmanuel Schwartz est électrisant, parfois taciturne parfois grotesque, tantôt ténébreux, tantôt drôle.

La scène où il courtise Elmire est à se taper les cuisses, au point où la comédie frise le vaudeville. On en rajoute une couche: comme un (mauvais) candidat de La voix, Tartuffe va gratter la guitare pour charmer Elmire. Si Orgon devient de plus en plus pitoyable au fil de la représentation, tout finira bien (on est chez Molière), avec en prime, un clin d'oeil libérateur du metteur en scène à la chute du rideau.

Divertissant, sans plus

En résumé, la production est extrêmement divertissante, mais sans résonance. On ne comprend pas le point de vue de Marleau, l'éclairage qu'il jette sur un pan de l'histoire du Québec. Il aurait fallu s'approprier davantage l'oeuvre, la secouer, lui amputer ses longueurs et ses scories. Qui plus est, la production est annoncée comme une tragicomédie. Elle devrait donc faire réfléchir autant que rire.

Par exemple, la résolution finale est ridicule. Molière a sans doute écrit cette fin - où tout le monde se rassemble à l'avant-scène pour louer le monarque qui a vu clair dans le jeu de Tartuffe - pour plaire au roi Louis XIV? Or, c'est précipité et invraisemblable.

Au lieu de couper ladite scène, Marleau a transformé le sergent royal en officier de la GRC. En pleine crise du FLQ, une police montée vient donc faire l'éloge de la magnanimité des élites et de l'incorruptibilité de nos dirigeants. Tout ça, devant le premier ministre Philippe Couillard, qui assistait à la première.

On est loin du Tartuffe présenté au Festival TransAmériques, en 2015, par la Schaubühne, dans la mise en scène radicale et chaotique de Michael Thalheimer. On nous répondra que la mission du TNM n'est pas celle de la prestigieuse compagnie allemande... Pourquoi pas ? Le public d'ici est curieux et adepte de nouveauté.

Finalement, ce Tartuffe illustre un paradoxe du Nouveau Monde. Son nom annonce la nouveauté, mais son mandat le force toujours à regarder vers le passé.

En attendant son 75anniversaire, peut-on espérer une trêve de Molière au TNM pour 10 ans? Le répertoire compte d'autres chefs-d'oeuvre.

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Tartuffe. De Molière. Mise en scène de Denis Marleau. Avec Emmanuel Schwartz, Benoît Brière, Anne-Marie Cadieux. Au TNM jusqu'au 26 octobre. 

Photo Yves Renaud, fournie par le TNM

Anne-Marie Cadieux et Emmanuel Schwartz brillent dans la pièce mise en scène par Denis Marleau.