Inconnu à cette adresse: bon texte, bons acteurs, mais bon! Quand la Nouvelle Vague française a déferlé, elle répondait au cinéma à papa qui paralysait le cinéma en France à l'époque. Avec Inconnu à cette adresse, on pourrait se demander si on ne serait pas devant l'équivalent d'un théâtre à papa.

Deux grandes vedettes y défendent avec honnêteté un texte littéraire dans une absence totale, cependant, de mise en scène et de scénographie. Une recette qui fera sans doute de belles recettes, mais pour le théâtre, on repassera.

Adaptée d'une nouvelle de Kathrine Kressmann Taylor publiée en 1938, la pièce se base sur un échange épistolaire entre deux amis allemands et marchands d'art: un célibataire juif vivant à San Francisco (Max, incarné par Patrick Timsit) et un père retourné vivre en Allemagne avec femme et enfants (Martin, joué par Thierry Lhermitte).

La montée du nazisme et la prise du pouvoir d'Hitler s'inscrivent, dès le départ, en toile de fond des échanges entre les deux amis qui deviendront, peu à peu, les pires ennemis. On assistera à la «radicalisation» de Martin en faveur d'Hitler et au désir de vengeance de Max, puisque Martin refusera de venir en aide à sa soeur Griselle, qui tombera aux mains des nazis.

La qualité du texte réside dans une progression dramatique bien cadencée où l'un et l'autre des correspondants basculent dans le mépris et la cruauté. 

Ces deux amis qu'on croit sincères laisseront, sous nos yeux, tomber les masques en même temps que toute humanité.

La pertinence de la pièce face à notre actualité est sans équivoque: la prise du pouvoir d'un populiste fanatique (pensons à Donald Trump ici), la radicalisation d'un groupe (les intégristes de toutes religions) et l'esprit de vengeance ambiant (le mal est en nous tous). Voilà pour le texte et son universalité.

Le problème est que, sur scène, même si Thierry Lhermitte et Patrick Timsit sont des acteurs compétents, il leur manque visiblement un maître postier pour les guider hors de leur enveloppe-fauteuil, souligner tel ou tel passage des lettres qu'ils s'échangent, accentuer une émotion ou en atténuer une autre.

On assiste, en fait, à une mise à plat plutôt qu'à une véritable mise en scène. Ce travail n'est en rien aidé, faut-il avouer, par le grand plateau du TNM où l'absence de vision scénographique fait paraître les deux acteurs souvent bien petits.

Il n'y a donc pas de quoi écrire à sa mère à propos d'Inconnu à cette adresse et cet échange épistolaire aurait pu, quant à nous, demeurer poste restante.

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Inconnu à cette adresse. D'après une nouvelle de Kathrine Kressmann Taylor. Mise en scène de Delphine De Malherbe. Présentée au TNM jusqu'au 26 juin.