Dans son premier spectacle d'humour, intitulé Assume, qui était présenté en première montréalaise, hier, au Théâtre Outremont, Fabien Cloutier délaisse son personnage, le chum à Chabot, qui l'a révélé à un cercle plus restreint, mais certain, de fans, avec Scotstown et Cranbourne. La langue crue du personnage, elle, est restée, toujours teintée de cette étrange poésie mêlant le vocabulaire de la ville et celui des régions.

Qui donc est ce Fabien Cloutier humoriste? Quand on décide de séduire le grand public sur le terrain très fréquenté de l'humour, les comparaisons sont inévitables. Ses pointes de colère et de mauvaise humeur font penser à celles de François Bellefeuille, et sa vulgarité, à celle de Mike Ward, avec plus d'inventivité dans le texte.

Mais dès le départ, il tient à cerner les contours du début de sa relation avec le public. Le «Ça va bien???» auquel nous répondons docilement «Oui!!!», avant que l'humoriste ne nous le redemande encore plus fort: c'est non! Et Fabien Cloutier n'a pas l'intention non plus de faire oublier au spectateur ordinaire - ici nommé Jacquelin - ses problèmes ainsi que sa vie plate et triste.

C'est même plutôt le contraire. «Êtes-vous assez intelligents pour une soirée pas de bullshit?», nous lance-t-il, avant d'attaquer. Ses cibles? Les vieux qui préfèrent parler de leurs bobos que de tout ce qu'ils ont pu voir pendant des décennies d'existence. Les collectionneurs, particulièrement ceux qui conservent les attaches à pain. Les familles qui s'habillent «en thèmes». Ceux qui font des mises à jour de leurs livrets au guichet ou qui achètent le pot de Nutella à 60 $ chez Costco.

Mais on dirait que sa cible préférée est la femme qui regarde Canal Vie, et particulièrement Décore ta vie. Si elle attend 10 ans avant qu'on vienne décorer son salon «laitte», « est-ce que je peux douter de toi quand tu vas voter?», demande Fabien Cloutier.

L'humoriste semble particulièrement préoccupé par l'absence de vie sexuelle des couples dont la misère n'est pas tant économique qu'émotive ou intellectuelle, voire existentielle.

Car il y a un regard presque anthropologique chez Cloutier (comme chez tous les bons humoristes), exaspéré par cette misère québécoise, de Montréal à Gaspé. S'il se réjouit de la baisse de l'homophobie, il constate que c'est parce « qu'il y a tellement de monde occupé à haïr les Arabes, il leur reste moins de temps pour haïr les gais ». Le Lac-Saint-Jean y goûte tout particulièrement, notamment pour son accent. «Arrêtez avec vos sept filles pour un gars, vous comptez vos grands-mères!» Ou Sorel. «C'est pas parce que vous avez créé une place Éric-Salvail qu'on va brûler du gaz pour aller là!»

Bref, Fabien Cloutier pratique un humour particulièrement raide, et on se demande comment il est reçu dans certains coins de la Belle Province. Quant au Montréalais pur jus, celui de la fantasmatique Clique du Plateau, il ratera quelques références langagières, et s'il est un admirateur de Cloutier parce qu'il a fait des chroniques brillantes à l'émission littéraire Plus on est de fous, plus on lit! ou parce qu'il a remporté un Prix du Gouverneur général pour une pièce de théâtre, il sera fortement bousculé par ce spectacle qui distribue allègrement les claques à tout le monde, sans compromis. De toute évidence, Fabien Cloutier veut être exactement là où on ne l'attend pas, et il s'y sent très bien.

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Au Théâtre Outremont ce soir, 20 h, et en supplémentaire au Théâtre St-Denis le 13 octobre.