Paru en 2013 chez Alto, couronné de plusieurs prix par la suite, L'orangeraie de Larry Tremblay propose une réflexion humaniste sur l'absurdité de la guerre. On a commenté l'actualité du roman, tant avec son propos qu'avec la théâtralité de sa forme. Quelques jours après les attentats de Bruxelles, cette fable sur l'enfance et la guerre peut-elle soigner nos blessures?

C'était notre souhait en nous rendant au Théâtre Denise-Pelletier (TDP) afin de voir l'adaptation théâtrale que Tremblay a lui-même faite de son roman, sous la direction de Claude Poissant; une cinquième collaboration au théâtre entre l'auteur et le metteur en scène. Leur proposition est esthétiquement splendide et le travail des concepteurs est très léché, le spectacle reste en panne d'émotions. Comme si le sujet de la guerre se transformait, sur la scène du TDP, en un objet de beauté.

L'intrigue de L'orangeraie rappelle le mythe d'Abel et de Caïn, avec au centre la notion du sacrifice des kamikazes comme moteur de la terreur. «La guerre efface les frontières entre le monde des adultes et celui des enfants», écrit l'auteur de cette oeuvre à la fois poétique et complexe. Elle les contamine avec la haine. Selon Tremblay, c'est la haine qui tient «les os des guerriers en place»... pas l'injustice.

Le théâtre et son double

Quelque part dans un pays du Moyen-Orient, une guerre sans nom fait rage. Les jumeaux Amed et Aziz vivent une vie paisible à l'ombre des orangers et des fleurs, jusqu'au jour où une bombe explose et tue leurs grands-parents. Arrive le guerrier Soulayed (Jean-Moïse Martin). Il propose au père (Daniel Parent) de venger la mort de ses parents en envoyant ses enfants, âgés de 9 ans, de l'autre côté de la montagne minée où loge le clan ennemi. Seul un des deux fils aura «l'honneur» de porter la ceinture d'explosifs. Lequel devra se sacrifier? Un pacte entre Amed et Aziz viendra changer le cours des choses.

La deuxième partie nous transporte plus tard à Montréal. Amed, le survivant, est devenu adulte (fabuleux et émouvant Gabriel Cloutier-Tremblay). Il étudie en théâtre pour devenir acteur. Son professeur (alter ego de Tremblay, interprété par Vincent-Guillaume Otis) monte une pièce sur la guerre, sans se douter que le champ de bataille de son oeuvre aura de fortes résonances sur Amed. Qu'il est long et douloureux, le chemin de la résilience!

Un univers sombre

Dans cette production aussi belle que froide, Claude Poissant a misé sur la musique des mots de Tremblay. Pour éviter tout psychologisme dans le jeu des interprètes, les répliques sont données sur un ton littéraire et uniforme qui sonne faux, surtout avec les personnages adultes. Cela crée une distance entre la violence du récit et l'artifice de la proposition.

Cette Orangeraie est plus sombre et glaciale que chaude et lumineuse. Les comédiens jouent perdus dans la pénombre, souvent au fond de la scène. 

La seconde partie, qui se passe durant l'hiver, est curieusement plus chaude. Alors que tous les protagonistes sont vêtus de gris et de noir (très beaux costumes de Sébastien Dionne), le récit fait place à une mise en abyme théâtrale. L'acte 2 se termine avec le monologue du fils exilé, sur son enfance volée par la guerre. Un grand moment de théâtre livré avec brio par le jeune Gabriel Cloutier-Tremblay.

Au diable, les champs de bataille: le théâtre devient alors un champ d'idées à débattre. Un espace de liberté pour secourir une humanité inlassablement meurtrie par l'horreur.

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L'orangeraie. De Larry Tremblay, d'après son roman. Mise en scène de Claude Poissant. Au Théâtre Denise-Pelletier jusqu'au 16 avril et au Théâtre du Trident, à Québec, du 26 avril au 21 mai.

PHOTO GUNTHER GAMPER, FOURNIE PAR LE THÉÂTRE DENISE-PELLETIER

Daniel Parent, Gabriel Cloutier-Tremblay et Sébastien Tessier dans L'orangeraie au Théâtre Denise-Pelletier. Dans cette production aussi belle que froide, le metteur en scène Claude Poissant a misé sur la musique des mots de Larry Tremblay.