Certains signes ne trompent pas. Comme lorsqu'à la fin d'un mélodrame, le public ne verse aucune larme. C'est ce qui est arrivé, jeudi dernier, chez Duceppe, à la première d'Ils étaient tous mes fils. La distribution a beau s'épancher et s'époumoner durant deux heures pour nous émouvoir face au destin des personnages de la pièce, on demeure de glace... Avec l'impression de voir du vieux théâtre, décalé et coupé de notre époque. Du théâtre de musée.

Mort en 2005, Arthur Miller aurait eu 100 ans le 17 octobre dernier. En programmant une nouvelle version française d'All My Sons, traduite par David Laurin, le directeur artistique Michel Dumont célèbre cet anniversaire, en plus de souligner son admiration pour Miller, l'auteur fétiche de sa compagnie. Si le propos de Miller n'est pas désuet (son théâtre demeure l'un des plus joués en Occident), c'est sans doute son oeuvre scénique qui trahit le plus son âge.

Créée à Broadway en 1947, avec succès (l'auteur de Mort d'un commis voyageur ayant reçu son premier prix Tony cette année-là), l'action de la pièce se situe dans l'après-guerre. Elle met en scène les Keller, famille américaine typique d'une banlieue prospère. Le père (Michel Dumont, égal à lui-même) est le riche propriétaire d'une usine de pièces d'avions. Et il a perdu l'un de ses deux fils à la guerre.

La première partie est une longue mise en place des morceaux qui annoncent la tragédie imminente. Sous l'apparent bonheur familial, tout le monde a un squelette dans son placard. La mère (excellente Louise Turcot, on y reviendra) est dans le déni total de la mort de son fils aîné ; son mari cache des détails d'une histoire de négligence criminelle qui a entaché son entreprise; le fils cadet (Benoît McGinnis, au jeu très inégal) est revenu du conflit avec des séquelles psychologiques; même les voisins ont des visages à deux faces.

Tout éclatera au dernier acte, lorsque les enfants d'un ami et collègue du père (Vincent-Guillaume Otis et Évelyne Rompré) vont dévoiler un secret qui brisera à jamais la façade d'un bonheur trompeur.

La tragédie de l'homme

À l'instar de la plupart de ses oeuvres, Miller expose ici «la tragédie de l'homme ordinaire», le revers du rêve américain, la face cachée du capitalisme et de la réussite sociale.

Le metteur en scène Frédéric Dubois fait allusion à la tragédie sous-jacente en plaçant les interprètes, lorsqu'ils ne jouent pas, en rang et immobiles sur des chaises en arrière-plan. Une référence au choeur grec qui observe l'action, mais qu'il situe derrière la moustiquaire d'un porche de maison unifamiliale. Une idée intéressante que Dubois ne pousse hélas pas assez loin.

La production nage entre deux eaux, entre un ton naturaliste et une modernité qui n'est pas assumée.

Qui plus est, le metteur en scène (qui travaille pour la première fois chez Duceppe) semble mal à l'aise avec l'immense plateau. Mal dirigés, les interprètes semblent chercher à bien habiter l'espace scénique, jouant souvent trop éloignés les uns des autres ou de dos. Seule Louise Turcot tire admirablement son épingle du jeu.

Dans le rôle de cette mère qui cherche à sauver les fragiles fondations de sa famille, la comédienne est merveilleuse. Elle fait du mélo un art. Elle possède à la fois l'intelligence du texte et le vertige de son personnage. Louise Turcot fait évoluer le drame de cette femme avec brio, passant du déni à la résilience, de l'illusion au fatalisme, jusqu'à sa toute dernière réplique, qu'elle lance avec l'énergie du désespoir.

Si vous allez chez Duceppe uniquement pour assister à la performance de cette grande actrice sur scène, ça vaut le prix du billet!

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* * 1/2

Ils étaient tous mes fils. Mise en scène de Frédéric Dubois. Avec Michel Dumont, Louise Turcot, Benoît McGinnis Chez Duceppe jusqu'au 5 décembre.