Impressionnante et grandiose jusqu'à l'excès, la pièce Anna Karenina de l'Eifman Ballet débarque de Russie pour nous entraîner dans la descente aux enfers de l'héroïne du roman de Léon Tolstoï.

Les Grands Ballets canadiens de Montréal présentent cette oeuvre du chorégraphe russe Boris Eifman, reconnu pour avoir réinventé le ballet classique dans sa contrée natale. Ayant fait des ballets narratifs inspirés de la littérature son terrain de jeu, il signe avec Anna Karenina une oeuvre spectaculaire et bien ficelée, qui tient le spectateur en haleine, malgré une propension à la surenchère qui agace parfois.

On connaît l'histoire: mariée au comte Karenine, Anna Karenina, mère d'un garçon, mène sa vie en apparence paisible d'aristocrate, ponctuée de bals et d'événements mondains. Jusqu'au jour où son regard croise celui de l'officier Vronsky. Naît alors entre les deux protagonistes une passion dévorante, qui fera abandonner à la jeune femme sa vie, son fils et son statut social. Un choix déchirant dont elle ne sortira pas indemne.

Somptuosité et virtuosité

Production à grand déploiement dansée sur la musique dramatique de Tchaïkovski, Anna Karenina éblouit par ses somptueux costumes et ses décors plus grands que nature. Ces derniers se modulent grâce à des éléments amovibles qui créent divers lieux: une chambre à coucher, une luxueuse salle de bal, le quartier des officiers ou encore une inquiétante rue sombre où prennent vie les angoisses de la jeune femme.

Laissant de côté les intrigues secondaires du roman, le ballet s'attarde entièrement au triangle amoureux qui se dessine entre Anna, son mari et son amant. Le chorégraphe y privilégie les duos et trios mettant de l'avant l'agilité, la grâce et la force des interprètes, avec, en premier plan, la magnifique et gracile Maria Abashova (sur scène le soir de la première, elle partage le rôle avec Natalia Povoroznyuk).

Ponctuant les différentes scènes, le corps de ballet est époustouflant de virtuosité et donne littéralement corps à la pièce. Eifman construit avec efficacité des tableaux où les danseurs entrent et sortent de scène, dans une dynamique huilée au quart de tour et un rythme haletant qui s'accélère jusqu'à s'emballer en dernière portion de spectacle.

Duos inégaux

Moins classiques qu'expressionnistes, les mouvements créés par Eifman - dominés par les innombrables portés, certains assez spectaculaires - se modulent au gré des sentiments qui animent les protagonistes. Les figures élégantes, tout en rondeur, laissent place dans la tourmente aux corps angulaires et contorsionnés. Le rendu est parfois un peu affecté, mais en phase avec le romantisme tragique de l'histoire.

Présenté en deux actes et ponctué de tableaux qui n'ont pas tous la même force de frappe, le ballet met d'abord en scène, de façon plutôt classique, la rencontre entre les deux amants et la valse-hésitation de l'héroïne, prise entre deux feux.

Étonnamment, ce sont surtout les duos déchirants entre Anna et son mari qui frappent par leur puissance émotive, alors que la passion destructrice censée animer les deux amants est moins palpable, plus convenue. On aurait aimé sentir la décharge électrique qui les anime au contact l'un de l'autre.

La deuxième portion du spectacle, alors que la jeune femme sombre peu à peu dans les abîmes de son esprit dérangé, réserve les moments les plus enlevants du spectacle et les passages chorégraphiés les plus innovateurs. La finale aux accents contemporains, où tombent les pointes et où flotte la longue chevelure fantomatique de la prima donna, vaut à elle seule le détour.

* * * 1/2

Anna Karenina. De Boris Eifman. À la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts jusqu'au 18 avril.