Il n'y a que du bon derrière le projet de Ce monde-là, produit par le Youtheatre et présenté pour la première fois en français à la Maison Théâtre. Pour écrire cette pièce primée à Toronto en 2010, l'auteure Hannah Moscovitch a fait des rencontres avec des jeunes filles fréquentant deux écoles secondaires de Montréal. Leurs mots, leur phrasé, leur manière de penser sont ainsi la colonne vertébrale de cette pièce secouante, qui relève cependant beaucoup du théâtre d'intervention.

Bijou et Neyssa sont en retenue parce qu'elles se sont battues. Au début de la pièce, les deux anciennes meilleures amies, membres de la même équipe sportive, s'affrontent, s'engueulent, s'insultent... Jusqu'à ce que Neyssa finisse par cracher le morceau et raconter à demi-mot ce qui lui est arrivé il y a une dizaine de jours, pendant une fête chez Bijou, lorsqu'un garçon qu'elles connaissent bien l'a enfermée dans la cave.

Bien construite, la pièce suscite de très fortes réactions chez le public adolescent. «Retourne à Montréal-Nord dans ton ghetto», lance Bijou et Neyssa, de son côté, traite son amie de «salope» parce qu'elle fait l'amour avec son chum

Dans la salle, les cris fusent, les encouragements, les huées, les poings en l'air: manifestement, ces mots qui claquent parlent beaucoup...

Ainsi, quand la trame devient plus dramatique, que Neyssa finit par se confier, que Bijou l'encourage à dénoncer son agresseur et qu'elle refuse, le public, déjà interpellé et même un peu saisi, reste attentif à ce qui se passe et se dit devant lui.

Un objet théâtral décevant

C'est clair, Ce monde-là réussit ce qu'aucun travailleur psychosocial n'arriverait à faire: capter l'attention et l'intérêt des jeunes sur le sujet sensible des agressions sexuelles et du consentement. En cette période marquée par l'affaire Ghomeshi, la culture du viol, le hate sex et aussi l'encouragement à briser le silence, la pièce de Hannah Moscovitch suscite la réflexion. Et peut certainement contribuer à changer des mentalités si elle est suivie d'une bonne discussion - ce qui est le cas d'ailleurs à la Maison Théâtre.

Par contre, l'objet théâtral comme tel est un peu décevant, trop statique. Les deux jeunes filles sont assises chacune à leur bout d'un échafaudage, se lèvent, se rassoient, se rapprochent, s'éloignent, pour finalement s'enlacer, mais c'est le seul mouvement dans cette oeuvre basée essentiellement sur la parole, et très bien traduite par David Paquet.

On peut aussi lui reprocher de ratisser un peu large: racisme, clivage social, violence familiale, c'est beaucoup, tout de même, en 45 minutes.

Théâtre à thème plus axé sur le fond que sur la forme poétique et visuelle, Ce monde-là est d'une utilité indéniable et mériterait d'être vu dans toutes les écoles. Sur la scène d'un théâtre, par contre, il lui manque peut-être un petit peu d'enrobage pour que cette oeuvre soit davantage qu'un message, aussi valable soit-il.

* * 1/2

Ce monde-là. De Hannah Moscovitch. Traduction de David Paquet. Mise en scène de Michel Lefebvre. À la Maison Théâtre jusqu'au 19 avril.