La meilleure défense, c'est l'attaque. Ce dicton se vérifie autant à la guerre qu'en humour, et Sylvain Larocque, qui présentait hier son quatrième spectacle en première, au St-Denis, en sait quelque chose.

Rire de soi est la voie suprême pour rire des autres. Tout au long de la soirée, il a été beaucoup question de son apparence et de son handicap (il est aveugle d'un oeil), que souligne d'entrée de jeu le titre du show, Dans le blanc des yeux. Mais Sylvain Larocque a l'oeil, si l'on peut dire, tant il est vrai qu'il n'en faut qu'un pour poser un regard lucide sur les choses.

Larocque oscille toujours entre la blague et la leçon, l'anecdote et la réflexion. S'il parle de ses complexes, c'est pour révéler, bien sûr, la cruauté de la dictature de l'apparence, par exemple lorsqu'il dit qu'il était « le seul enfant qui faisait peur aux pédophiles » ou qu'il parle de l'intimidation dont il a été victime à l'école. Il ne cesse de répéter qu'avec sa face, il ne peut pas dire n'importe quoi, mais il peut dire autre chose, interdit à un jeune premier.

Larocque est aussi un humoriste qui a le souci du texte, parfois trop, au point de souffrir de la comparaison avec les blagues « punchées » auxquelles l'humour nous a habitués. Mais il se dégage de certains de ses numéros des images brillantes.

Si son texte sur la stupidité du corps était ordinaire, celui sur la vie humaine réduite en 24 heures touchait droit au but, en révélant l'absurdité de nos brèves existences. 

Plus que son oeil déficient, ce qui caractérise cet humoriste, c'est la mélancolie, jamais très loin derrière les blagues. Une mélancolie un peu plus apparente lorsqu'il parle de sa rupture - après un « mariage civil et un divorce qui l'était beaucoup moins » - et de son nouveau célibat, qui le pousse à aller au Costco « pour l'ambiance ». Mais la scène, pour un humoriste, c'est peut-être la meilleure réplique, lorsqu'il répond à de vieilles insultes du secondaire (belle vengeance) et même lorsqu'il fait un numéro sur ses idées refusées par ses scripteurs (les rires du public le vengent, en quelque sorte).

C'est un pessimiste, il l'a souvent répété, parce que les pessimistes sont moins déçus dans la vie que les optimistes, et là-dessus, il a passablement raison. Ne pas avoir de grandes attentes permet d'être agréablement surpris en général, et c'est une façon de se protéger. Du reste, il applique la formule à son spectacle, se disant agréablement surpris d'un public qu'il craignait d'avance).

Mais il se trahit dans quelques numéros en ce qui concerne ses grandes attentes pour le Québec, dont il déplore l'attitude de « conquis ». Il le voudrait moins fermé sur lui-même, moins docile devant les intérêts de multinationales sur son territoire. Acheter de l'eau de source québécoise d'une compagnie américaine, c'est comme payer sa propre bave au restaurant, croit-il. Dans un numéro bilingue, où il raconte ses trucs pour faire disparaître les « Anglais » qui confondent loi 101 et loi LOL, il dit : « Les politiciens nous disent que c'est important d'avoir deux langues/Politicians say it's important to have two faces. » C'est en deuxième partie de spectacle que le Sylvain Larocque engagé se dévoile.

Un spectacle passablement généreux, au volet visuel très séduisant (la mise en scène est de Stéphane E. Roy, la musique de Dumas), qui se révèle à la hauteur des attentes, voire les surpasse pour les pessimistes qui n'en avaient pas.

Dans le blanc des yeux de Sylvain Larocque, en tournée, et en supplémentaire le 16 mai au Théâtre St-Denis