Attention, René Richard Cyr et Daniel Bélanger frappent fort à nouveau! Ils font revivre un classique peu visité de Michel Tremblay. Sans l'ombre d'une nostalgie. Sainte Carmen présentée au TNM est résolument moderne et tragique.

C'est si bon d'entendre la parole de Michel Tremblay!

Celle qui vient de son âme et non pas de son esprit... qu'il a pourtant bien vif. La parole de ses oeuvres comme Sainte Carmen de la Main. Car, à l'instar de son héroïne qui vit littéralement une renaissance sur la scène du TNM, cette pièce de Tremblay parle de NOUS. De nos espoirs et de nos défaites, de notre grandeur et de notre petitesse.

Créée en juillet 1976 dans un Québec qui, quatre mois plus tard, «n'aura jamais été aussi fier» d'être ce qu'il est, Sainte Carmen de la Main annonçait pourtant «la mise à mort tragique de cette espérance».

Et nous voilà en 2013. Et... rien n'a changé. Ou si peu. Maurice, le roi de la Main, règne encore sur la province. Peu importe si, avec ses complices, Maurice joue les repentants devant la justice. L'argent, la corruption et le mépris du peuple sont immortels. Il restera toujours des petits rois pour écraser l'espérance d'une collectivité; briser leurs rêves.

Comme le fait Tooth Pick, le bras droit de Maurice. Le choeur des multipoqués de la Main recule vers le fond de la scène durant son monologue - un monologue qui ressemble à un discours de politicien véreux. Muet et solitaire, le choeur s'efface alors dans l'ombre de la loi du plus fort, du plus rusé, du plus riche. Triste.

Pardonnez cette longue introduction, mais Le Chant de Sainte Carmen de la Main suscite ce type de réflexions. Le spectacle du TNM produit avec Spectra Musique est une réussite totale! Dans sa forme (mise en scène, jeu, musique), sa conception (les éclairages d'Étienne Boucher sont grandioses!), et surtout dans sa vision claire, voire clairvoyante, de l'oeuvre!

Le compositeur Daniel Bélanger signe la musique enveloppante; René Richard Cyr la mise en scène, le livret et les paroles des chansons (il a inséré quelques répliques d'autres textes de Tremblay des années 70). Les deux artistes livrent un travail d'architecte de la scène. Ils ont construit une cathédrale et dirigé une messe d'un temps présent destinée à un peuple qui n'a plus foi en rien ni personne. Pour lui chanter sa fragile beauté.



Viens voir les comédiens!

Une vision de metteur en scène, c'est aussi le choix d'une solide distribution. Maude Guérin est Carmen jusqu'au bout des ongles. À la fois impétueuse et émouvante, elle brille à chaque instant. Évelyne Gélinas est bouleversante en Bec-de-Lièvre. Normand D'Amour en Maurice et Benoît McGinnis en Tooth Pick sont deux faces du même mal; la merveilleuse France Castel rayonne en Gloria, l'ex-vedette du cabaret qui fait un retour; l'ensemble des 16 interprètes du choeur des travestis et des putains est d'une grande justesse et cohésion.

Cyr a affirmé que ce spectacle ne ressemblerait pas à Belles-Soeurs, son succès précédent. Effectivement, il s'agit de deux propositions très différentes dans le registre, la facture, la résonnace.

Belles-Soeurs est une partition habile et divertissante qui illumine un chef-d'oeuvre. Le Chant de Sainte Carmen est une relecture brillante d'une oeuvre moins bien construite, mais qui, paradoxalement, va sans doute mieux vieillir. Les pauvres femmes des Belles-Soeurs ont un avenir: ultimement, elles gagneront leur bataille contre le sexisme et le machisme. Le futur des personnages de Sainte Carmen reste plus opaque. Ce sont des marginaux, des exclus, des rejetés du monde des gens heureux. Malgré tout, la troupe nous laisse croire que Carmen n'a peut-être pas chanté sa dernière chanson...

Même si elle nous fait pleurer sur son sort. Et le nôtre.

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Au Théâtre du Nouveau Monde jusqu'au 22 juin. En tournée au Québec en janvier, février et mars 2014.