Peut-on expliquer l'inexplicable? Non. Faut-il pour cette raison se mettre la tête dans le sable devant la violence? La réponse aussi est non.

Dans 2h14, pièce-choc pour ados présentée jusqu'à samedi à la Maison Théâtre, l'auteur David Paquet s'est inspiré des fusillades dans les écoles pour écrire un texte sur les affres et les beautés de l'adolescence. Car contrairement à Podz dans 19-2, ou même à Denis Villeneuve dans Polytechnique, ce n'est pas tant la tuerie et ses séquelles qu'il montre que la vie qui bouillonnait juste avant que le drame survienne.

Ils sont cinq: un prof de français au bord du burn-out, un premier de classe qui rêve de frencher, une fille qui mange des vers pour maigrir, une autre «qui frappe les profs», un garçon qui fume trop de pot et qui «ouvre des portes» dans sa tête pour s'évader.

Pendant une heure, ils viendront s'adresser au public directement et se raconter. Dans une mise en scène fluide et dynamique de Claude Poissant, ils prendront vie chacun leur tour sous les projecteurs. Mais les autres sont toujours sur scène, font les choeurs et illustrent le propos, dans un mouvement souvent circulaire, effervescent et tournoyant.

Le décor est simple: un grand mur dressé dans le fond de la scène, avec une rangée de fenêtres dans la partie du haut qui s'illuminent parfois de rouge, lorsque Radio-Charlie entre en ondes -on y voit alors l'ombre de l'animateur bouger, alors que la musique envahit la salle.

Et, dans un coin, un atelier, celui de la femme-hirondelle qui arpente la scène avec son masque et observe ces jeunes se débattre, grouiller, essayer d'aimer et d'aller vers les autres.

Morceau d'anthologie

On rit beaucoup dans 2h14 - le «pétage de coche» du prof de français est un véritable morceau d'anthologie. La langue y est crue, parfois vulgaire, mais avec des images fortes qui font réagir spontanément le public adolescent. Les personnages, très bien dessinés en quelques coups de pinceau, sont portés avec fougue par les jeunes comédiens, qui ne tombent jamais dans l'infantilisation ou dans l'idée caricaturale qu'on se fait des ados, de leur gestuelle et de leur langage.

Avec la femme-hirondelle qui rôde, on sent qu'un drame a eu lieu. Mais ce n'est que lorsque la dernière journée commence, lorsque chaque personnage martèle l'heure avant de parler - 7h15, 9h, midi, 2h10... -, que le rythme s'accélère et que la tension monte jusqu'aux coups de feu, absurdes, incompréhensibles.

Si 2h14 n'explique rien sur les motivations du tueur - qui peut et veut savoir, de toute façon? -, la pièce a le mérite de donner un nom aux victimes, de les faire exister et de nous rappeler toutes ces vies fauchées qui ne se déploieront jamais.

La femme-hirondelle leur aura redonné vie, tout en se souvenant de son petit Charles qui lui a échappé, essayant en vain d'effacer ce qui est arrivé ce jour-là à 2h14.

Impossible, bien sûr, de revenir en arrière, et le résultat est un véritable coup de théâtre, un tour de force qui ne perd pas vraiment de sa puissance quand on sait déjà la fin.

Avec son regard ému et le souffle qu'elle dégage, 2h14 mériterait en fait d'être vue aussi par un public adulte, ne serait-ce que pour la voix qu'elle redonne aux innocents qui sont tombés sous les balles, de Polytechnique à Newtown, en passant par Columbine.

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À la Maison Théâtre jusqu'au 9 février, pour les 14 ans et plus.