Ça s'est passé au milieu du spectacle, pendant No Quarter. Les claviers éthérés de John Paul Jones, le beat lourd de Bonham fils, puis la guitare, LA guitare de Jimmy Page. C'était trop beau pour être vrai, mille fois plus fort que sur disque et probablement meilleur que jamais dans l'histoire pourtant riche de Led Zeppelin, le groupe de scène par excellence.

C'était divin et surtout pas faiblard, rien à voir avec le retour mièvre de The Police. Led Zep étalait devant nous toute sa puissance, plus impressionnante encore que dans sa légende. Et on se disait que ça serait trop injuste que Plant, Page, Jones et Jason Bonham n'aillent pas porter la bonne nouvelle aux multitudes qui ne demandent que ça partout sur la planète. Les boys, on sait que vous n'êtes pas à l'argent, mais un demi-milliard tout de même... Combien de soirs on réserve le Stade olympique?

Robert Plant n'a rien promis au terme de ce concert fabuleux au profit de la Fondation Ahmet Ertegun, regretté fondateur de la maison de disques Atlantic, hier soir à l'aréna O2 de Londres. Mais le chanteur de Led Zeppelin s'est donné pleinement et je l'ai même vu sourire de bonheur après le premier rappel, Whole Lotta Love. À ses côtés, Page était si ému qu'il a même dit quelques mots à ce public sur le cul, pour le remercier.

Parlons-en de Page, ce génie possédé qui gaspille son talent depuis qu'il n'est plus dans Led Zeppelin. Hier, il a donné l'une des plus belles performances de musicien qu'il m'ait été donné de voir en 40 ans. C'était à couper le souffle. Page avait dit qu'il ne jouait jamais deux fois une chanson de la même façon, il avait aussi promis un concert de haute tenue, à des années-lumière des prestations moches du Zeppelin à Live Aid en 1985 et au 40e anniversaire d'Atlantic en 1988. Il a tenu parole.

J'ai vu les cinq premières chansons sur un écran de télé au son anémique en compagnie d'une cinquantaine de journalistes venus d'un peu partout. Rien pour écrire à sa mère. Pourtant, dès la troisième pièce, Black Dog, on a su que ça allait être toute une soirée. Page grimaçait sous sa chevelure blanche pendant qu'il attaquait sauvagement sa guitare. À ses côtés, Plant faisait chanter la foule. C'est vrai qu'il ne s'aventure plus dangereusement dans les hautes, mais ça ne gâche en rien notre plaisir; il a encore de la voix, on ne parle pas ici de Jethro Tull. Et surtout, Plant sait chanter, quitte à ménager un peu son instrument pour s'éclater dans la magnifique Kashmir, par exemple.

Cette Kashmir que Plant a présentée comme le 51e pays, après nous avoir annoncé qu'il y avait dans la salle des spectateurs venus de 50 pays, fut l'un des grands moments de la soirée que j'ai eu le bonheur de vivre à l'arrière du parterre, debout parmi les convertis. Autre moment fort, Dazed and Confused dont Plant a dit qu'elle faisait partie des incontournables. Et pour cause: la basse qui vrombit, Jimmy qui sort son archet pour chatouiller sa guitare, il y avait là-dedans le côté tripeux de Pink Floyd, la batterie des punks, et surtout du grand Led Zeppelin. Assagis, les gars? Pas sur scène, en tout cas!

Stairway To Heaven fait évidemment partie des chansons qu'il faut jouer même si elle a moins bien vieilli que toutes les autres pièces que Led Zep nous a offertes hier. Le public l'a chaudement applaudie, et certains spectateurs satisfaits ont même quitté l'aréna tout de suite après, surtout des gars qui étaient venus en couple Ce public, il rayonnait, comme ces deux gars, dont un sosie du collègue Richard Labbé - le pôvre -, qui faisaient du air guitar dos à dos pendant Dazed and Confused. Mais le marteau-compresseur de Led Zeppelin était tellement fort, tellement impressionnant qu'en comparaison, la réaction de la foule ne pouvait que paraître timide.

Plant a rendu hommage à Ahmet Ertegun - «Hé Ahmet, on l'a fait!», a-t-il dit avant The Song Remains The Same - mais aussi aux bluesmen, dont Robert Johnson, à qui le Zep a piqué quelques idées - éblouissante Trampled Under Foot!

Il a aussi vanté Jason Bonham - «spectaculaire», a-t-il dit avant de lui demander de chanter le début de I Can't Quit You Babe qu'ils n'ont pas joué. C'était une soirée de plaisir pour eux aussi. Je m'en voudrais d'oublier l'indispensable bassiste-claviériste John Paul Jones sans qui tous les concerts Page-Plant de l'histoire n'étaient que de pâles reflets de ce que Zeppelin peut faire.

Avant les 130 minutes de musique de Led Zep, on a eu droit à une fête de famille sans éclat avant la grand-messe. Bill Wyman et ses Rhythm Kings ont donné dans le vieux rock avec des chanteurs pour la plupart inconnus, sauf Paolo Nuttini et Paul Rodgers qui a chanté ses succès All Right Now (Free) et Seagull (Bad Company).

Puis Foreigner a fait I Want To Know What Love Is, avec une chorale d'enfants. On n'a pas vu Gregory Charles ni les Invincibles, mais notre espion a aperçu parmi les spectateurs Kate Moss, Oasis, Marilyn Manson, David Gilmour, Steve Winwood, les Arctic Monkeys, Roger Taylor de Queen, Tony Banks, Dave Grohl, Priscilla et Lisa Marie Presley ainsi que Jerry Hall, l'ex de Jagger.

Certains spectateurs ont passé la nuit autour de l'aréna même s'ils avaient déjà tous leurs billets. D'autres, plusieurs centaines, faisaient la queue dès midi hier devant l'unique comptoir de souvenirs pour se procurer un t-shirt de la soirée. Manque de pot pour les fans qui ont pris du poids depuis l'heure de gloire des Page, Plant et compagnie, les extralarges n'avaient pas encore été livrés Mais il en fallait davantage pour rendre maussades ces fans qui, en soirée, allaient atteindre le nirvana. Led Zeppelin, le groupe mythique qui a surpris tout le monde en annonçant un seul et unique concert de retrouvailles, allait renaître à la vie. Et ils seraient seulement une vingtaine de milliers à en être témoins.

Pour eux, le père Noël est passé plus tôt que prévu cette année.

LED ZEPPELIN A JOUÉ...

Good Times Bad Times

Ramble On

Black Dog

In My Time Of Dying

For Your Life

Trampled Underfoot

Nobody's Fault But Mine

No Quarter

Since I've Been Loving You

Dazed and Confused

Stairway To Heaven

The Song Remains The Same

Misty Mountain Hop

Kashmir

1er RAPPEL

Whole Lotta Love

2e RAPPEL

Rock & Roll