Alors que le premier ministre Jean Charest vend aux Québécois son Plan Nord, projet qui fera migrer des milliers de travailleurs au-delà du 53e parallèle, l'artiste Renée Robitaille a pris la route de la Baie-James pour témoigner de l'isolement des communautés nordiques. Pays de givre et de légendes, de quête et d'énigmes, les gens là-bas sont très patients : ils ne s'ouvrent pas au premier venu. Robitaille a dû faire plusieurs voyages avant d'apprivoiser ses habitants. Or en découvrant leurs histoires et leurs secrets, elle a compris des choses sur elle même. Et sur la nature humaine.

Dans son spectacle Le chant des os, présenté au Studio-Théâtre de la Place des Arts, la conteuse fait le récit poétique et imagé de ses rencontres nordiques. Sur son chemin, des femmes et surtout des hommes (il y a dix hommes pour une femme sur les chantiers!), des exilés du Sud et des autochtones, tous des personnages hors du commun : Tue-mouche, ce camionneur blessé; Caribou le chasseur cri; Marie-Claude, le transsexuel, Roger... la matrone à la moustache, etc.

Accompagnée par la présence discrète et complice du musicien Étienne Loranger, Robitaille ressemble à un elfe au coeur de la Taïga quand elle se déplace seule sur la petite scène. Puis la conteuse va se transformer tour à tour dans la peau de ces personnages, rendant son récit vivant et coloré.  

En écoutant tous ces témoignages, le drame d'une certaine Jasmine revient souvent. Une fille élevée par une mère dépressive et privée de l'amour de son père resté au chantier. Ce dernier finira ses jours dans les eaux gelées de la Grande. Et Renée Robitaille va hériter des lettres du paternel destinées à Jasmine. «T'aime ça le monde tout croche », lui lancera-t-on au passage. Car en Jasmine, Renée Robitaille trouve l'écho de ses propres (vieux) démons.

Comme dans toutes légendes, le conte nordique de Renée Robitaille puise dans la noirceur de l'âme humaine pour y faire jaillir un peu de lumière. D'ailleurs, les paroles sages d'une vieille Crie, qui conseille à sa fille de «nourrir le bon loup» en elle pour tuer la dualité entre le bien et le mal, résonne à nos oreilles comme une métaphore belle et universelle.

Depuis douze ans, Renée Robitaille a une dizaine de livres, de CD et de spectacles (pour adultes et pour enfants) à son actif. Or, il ne fait aucun doute aux yeux du critique que la conteuse est aussi une comédienne de haut vol. Charismatique, émouvante, lumineuse. Aidée par la mise en scène précise et fluide d'Anne-Marie Olivier (aussi conseillère à l'écriture), Robitaille réussit le défi de nous transmettre en mots son long parcours nordique.

«On me dit que ça ressemble de plus en plus à du théâtre», a confié la conteuse au public, à la fin du spectacle. Mais c'est du théâtre ! Car le théâtre est un art vivant. Et Renée Robitaille met en scène la vie. Belle et sauvage.  

Le chant des os de Renée Robitaille, jeudi et vendredi, à 20h, au Studio-Théâtre de la Place des Arts.