«Être un homme, cela veut dire ne jamais être soi-même», écrit Witold Gombrowicz dans son roman Ferdydurke. Dans Yvonne, princesse de Bourgogne, l'auteur polonais le démontre avec un humour féroce. Parodie shakespearienne et comédie humaine, cette pièce créée en 1957, peu montée au Québec, est pourtant un texte exceptionnel. Une oeuvre qui illustre une cruelle loi de la nature: le plus fort veut souvent écraser plus faible que lui.

Au cours d'une promenade avec des amis, le prince Philippe croise Yvonne, dont l'apparence moche provoque leurs railleries. Or, par caprice, et pour contrarier ses parents, le prince feint d'aimer ce «laideron», allant jusqu'à lui faire croire qu'il veut l'épouser.

Aussitôt Yvonne entrée au palais, c'est la débandade. Car en plus d'être laide, elle est muette, apathique et farouche, constate la famille royale. Déstabilisée par le comportement de la «future» princesse, la machine royale va dérailler, littéralement tomber en pièces. Et Yvonne, animal traqué dans ce palais en folie, en paiera le prix.

La production signée Louis-Karl Tremblay, du Théâtre Point d'Orgue, est fascinante à plusieurs égards. Il y a un fil mince entre le grotesque, l'absurde et le tragique dans cette pièce. Or, le metteur en scène a trouvé le ton juste, tant dans sa direction d'acteurs que dans l'utilisation chorégraphiée du choeur.

La cour semble constituée de candidats d'Occupation double ou de Loft Story; un monde dans lequel les rapports humains sont calculés, hiérarchisés, artificiels. La musique de Michel Smith et Sonia Paço-Rocchia vient, discrètement, annoncer la tragédie. Musique et mise en scène contribuent aussi à insuffler un climat étrange, surtout vers la fin, lorsqu'on voit des visages, des mains et des corps épouser les formes des murs du palais; comme dans Répulsion de Roman Polanski.

C'est rare qu'une (jeune) distribution de cette ampleur (15 comédiens) compte si peu de fausses notes. Soulignons les solides performances de Peter Batakliev (le roi), Francis-William Rhéaume (le prince), Gabriel Lessard (Cyrille), Sébastien David (le chambellan), et Markita Boies (la reine).

Finalement, Ariane Lacombe assure très bien l'un des rôles les plus atypiques du répertoire: Yvonne, silencieuse et presque toujours dos au public, visage penché vers le sol, est pourtant d'une inquiétante et énigmatique présence...

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Yvonne, princesse de Bourgogne, jusqu'au 17 décembre.

Théâtre Prospero.

Durée: 1h45 sans entracte.