La saga des Filles de Caleb, c'est l'histoire d'un peuple et celle de l'émancipation de ses femmes, racontées à travers l'amour déchirant d'un couple devenu mythique: Ovila Pronovost et Émilie Bordeleau. L'adaptation qui en est proposée au Théâtre St-Denis met d'ailleurs l'accent sur les personnages féminins du récit: Émilie (Luce Dufault), sa fille Blanche (Stéphanie Lapointe) et sa petite-fille Élise (Carolanne D'Astous-Paquet). De l'une à l'autre, les mêmes combats se poursuivent: droit à l'éducation, quête d'indépendance et droit au mariage d'amour.

L'opéra-folk cosigné par Micheline Lanctôt (livret) et Michel Rivard (chansons) tient davantage du tour de chant que de la comédie musicale. Ici, les scènes jouées, toujours courtes, ne servent qu'à mettre un peu de contexte autour des airs. L'essentiel se passe en chanson. Un à un, rarement à deux ou à plusieurs, les personnages prennent le plancher pour interpréter un air où ils livrent leurs états d'âme sur un air country-folk mélancolique.

Les filles de Caleb, c'est en quelque sorte un spectacle thématique de Rivard. Sa griffe est d'ailleurs éminemment reconnaissable tant sur le plan du ton que des mélodies, d'ailleurs interprétées en direct par le compositeur et un groupe au sein duquel on retrouve notamment trois piliers de son Flybin Band (Mario Légaré, Rick Haworth et Sylvain Clavette). Avec un plaisir évident, ceux-ci épaulent des chanteurs de renom auxquels on trouve peu à reprocher.

Yves Soutières (Henri Douville) se démarque d'emblée du lot. Impeccable chanteur, il est aussi celui qui joue le mieux. Luce Dufault ne semble pas encore à l'aise au plan du jeu. En chanson, elle campe toutefois une Émilie forte malgré l'immense peine qui la dévore. Yves Lambert fait un Caleb attachant. Jean-François Poulin est la révélation du spectacle dans le rôle de Clovis. Daniel Boucher, lui, est fort juste dans le rôle du jeune amoureux de la première partie, mais s'avère beaucoup moins convaincant en Ovila vieillissant. Chanter son personnage lui est facile, c'est le jouer qui pose problème: il ne semble pas savoir que faire de son corps.

Ce détail met en lumière l'une des faiblesses des Filles de Caleb: sa mise en scène. Il manque cruellement de théâtre dans la mise en mouvement du spectacle. La plupart du temps, les chanteurs s'exécutent en arpentant simplement la scène de long en large, comme dans un spectacle de variétés. L'adaptation, qui privilégie la prise de parole en solo, ne lui a certainement pas facilité la tâche.

On compte en effet sur les doigts d'une main les tableaux collectifs comme ceux du mariage d'Émilie et Ovila, animé par des chants, des danses et l'accordéon d'Yves Lambert. Pas une scène, d'ailleurs, ne donne à voir la vie rude de ces gens-là. Ni celle d'Émilie, ni celle de sa fille Blanche partie ouvrir un dispensaire dans le fin fond de l'Abitibi... Les images projetées sur les écrans qui surmontent la scène contribuent bien sûr à planter le décor, mais jamais à faire ressentir quoi que ce soit.

Rivard a aussi une part de responsabilité dans le caractère statique du spectacle. Ses musiques sont fines et élégantes. Ses textes traduisent fort bien ce que ressentent les personnages, mais puisqu'il s'éloigne peu du country-folk, tous expriment leurs émotions sur le même ton. Tout le contraire de ce qu'a fait Daniel Bélanger dans Belles-soeurs. Un peu plus de musique traditionnelle et, pourquoi pas, un soupçon d'influence religieuse auraient peut-être rendu ses musiques plus éloquentes.

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Jusqu'au 30 avril au Théâtre St-Denis.