C'est un spectacle d'une grande poésie, brillamment orchestré et recréant une atmosphère irréelle et magique qu'a présenté, hier soir à la Tohu, l'artiste suisse James Thierrée avec Raoul.

Sur la scène, un grand drap. Comme la voile immense d'un bateau. Par des jeux de lumière apparaît un soleil, puis de l'ombre surgit un homme.

Il s'assoit sur la scène, ôte ses chaussures et se précipite sur un monticule de tiges en fer en criant «Raoul» et en cherchant à y pénétrer.

Bienvenue dans l'univers du personnage de James Thierrée, qui va passer 1 h 30 à créer sous nos yeux le quotidien d'une sorte de Robinson Crusoé isolé comme en lui-même.

Déguisements, mimiques, petits pas de danse, le petit-fils de Charlie Chaplin use de toutes les ficelles de ses talents pour nous embarquer sur son île aux multiples trésors et où viennent accoster des créatures toutes plus étranges les unes que les autres.

L'homme et son double jouent ainsi avec tous les éléments de l'environnement immédiat, eux-mêmes animés et prétextes à une gymnastique que James Thierrée sait réinventer à merveille.

L'eau de la mer figurée par les mouvements de l'immense drap, les apparitions et disparitions de son double, ses tentatives de guider ses jambes à la manière d'un Mongole domptant un cheval sauvage, ses bras qui commandent le chant des grillons, James Thierrée met en scène le comique et le tendre avec finesse.

Musicien, acrobate, mime et danseur, il va et vient dans un ballet incessant.

Quand, soudain, il s'approche de la scène dans le plus grand silence et contemple le public comme s'il interrogeait un océan imaginaire, chaque spectateur retient son souffle. «Homme libre, toujours tu chériras la mer.»

Puis, il repart jouer avec son corps qu'il fait rebondir sur le sol comme une balle ou un morceau de caoutchouc.

Au milieu du spectacle, on ressent quelques longueurs, comme si le propos était soudain moins empli de ces petits moments de magie qu'il crée en permanence. Mais l'action reprend ensuite quand il fait l'antenne avec ses pieds, comme si son corps faisait des interférences radio.

La gestuelle du spectacle, l'expression corporelle de James Thierrée, ses danses, son exploration d'une infinité de mouvements que son corps peut créer et combiner à la musique, aux sons ou aux éléments installent une poésie humaine fascinante.

Avec Raoul, James Thierrée subjugue la capacité humaine, le désir naturel de l'homme de bouger, de s'exprimer pour marquer l'évidence de son existence, seul ou confronté aux autres et à lui-même.

L'homme et son désir de créer, d'imaginer, mais aussi sa joie et ses angoisses de vivre. L'homme et son univers. Interprété par un homme et son double. Un grand acteur. James Thierrée, ovationné finalement par cet océan qui l'a regardé, fasciné, du début à la fin du spectacle.

«C'est unique, dira l'acteur Rémi Girard, après le show. Les changements de costumes et de décors sont incroyables.» «Il met en scène un désordre organisé extraordinaire, ajoute l'acteur, auteur et metteur en scène Denis Bouchard. C'est vraiment une grosse machine.»