Mercredi, tous ceux qui se posaient des questions sur la nécessité de reconstituer, quelque 40 ans plus tard, le spectacle de Michel Fugain et du Big Bazar (y compris celle qui signe ces lignes, je l'avoue) ne perdaient plus de temps à s'interroger: c'était une des meilleures idées qui soient, remonter ce spectacle, tant le plaisir, le bonheur et la joie explosaient de partout, sur scène et dans la salle, en ce soir de première au Saint-Denis 2. C'était la fête, oui, la fête...

Bien sûr, à cause des fabuleuses chansons de Fugain, qui tiennent merveilleusement bien la route. Mais aussi beaucoup à cause de la troupe de jeunes chanteurs et danseurs qui les interprètent, avec une telle aisance que ma voisine s'est écriée: «Ça n'a pas l'air d'une première tellement ils ont l'air bien».

C'était exactement ça: ils avaient l'air bien, ils l'étaient, et nous aussi. Difficile de dire ce qui est le plus fort, dans ce spectacle: la mise en scène réussie et adorablement fraîche d'Édith Myers (également directrice vocale)? Les chorégraphies de Geneviève Dorion-Coupal, qui avaient quelque chose de joyeusement spontané, alors même que tout était appris et bien appris? Richard Charest, vraiment excellent, qui reprenait le rôle de Michel Fugain au sein du Big Bazar en l'évoquant sans pour autant l'imiter? Les belles voix - hier, on remarquait en particulier celles de Sophie Vaillancourt, Brigitte Boisjoli et Gardy Fury?

Ou était-ce à cause des costumes jolis comme tout, du décor tout simple et efficace, de la proximité entre troupe et public? De l'humour gentiment mordant des chansons de Fugain et ses paroliers (y compris les références québécoises ajoutées dans le numéro Dans le ring)? Du fait que presque tout le monde connaissait les 30 chansons du spectacle (Bravo Monsieur le monde, Comme un soleil, Une belle histoire, Fais comme l'oiseau, Soleil, La fête, Tout va changer, etc.)?

Peut-être était-ce tout simplement ce qu'il faut bien appeler l'allégresse, qui avait décidé de s'installer elle aussi dans la salle du Saint-Denis 2. En tout cas, il régnait une atmosphère de bonheur parmi les fauteuils.

En fait, la clé de ce spectacle, c'est peut-être bien qu'il réussit, contre absolument toute attente, à éviter le piège de la nostalgie. Comme une toile ancienne dont on viendrait de raviver les couleurs, on redécouvrait la vitalité, la pertinence (qui se souvenait qu'il est question du phénomène de la deuxième génération dans la chanson Là-bas dans les îles, écrite en 1973?), la force - et les imparables mélodies signées Fugain - de ce répertoire. On réalisait que, loin d'être béatement optimistes, les chansons de Michel Fugain et ses paroliers (dont l'irremplaçable Pierre Delanoë) traitent toujours des limites de nos vies, de l'attrait puissant du conformisme, des choix qui se posent régulièrement et dont nous devons assumer les conséquences... Et aussi de l'incroyable beauté de ce monde.

Oh, il y a bien quelques petits bémols dans ce Big Bazar du 21e siècle, comme par exemple l'utilisation d'une bande préenregistrée, des orchestrations qui auraient pu être un peu plus dépoussiérées, une voix ou deux pas toujours aussi justes que les autres. Mais bien franchement, c'est toujours le plaisir qui a eu le dessus. Big Bazar est un spectacle à voir avec ses enfants, ses parents, ses amis, y compris ceux qui vivent des heures tristes...

Lorsque, vers la fin du spectacle de deux heures, Chante comme si tu devais mourir demain a débuté, toute la salle s'est mise à vibrer et frétiller sur son siège. Quand Soleil et La fête ont suivi, la journaliste a fait comme tout le monde: elle s'est levée et a dansé. Et quand Tout va changer a clos le spectacle, tout le monde a ouvert son cellulaire (personne n'a plus de briquet!) pour «qu'on allume des millions d'étoiles» et qu'on voit, oui, l'espoir lui-même, faire briller les yeux. Oui, hier soir, la vie était belle...

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Big Bazar, Théâtre Saint-Denis 2, jusqu'au 19 juin, présenté dans le cadre des FrancoFolies de Montréal.