Les terroristes qui font sauter des bombes - et des gens - à Kaboul, à Bagdad, à Peshawar, à Londres ou à Madrid ne détiennent pas le monopole de l'usage de la terreur. Les frères Oleg et Vladimir Presnyakov en font l'éloquente démonstration dans Terrorisme (écrite en 2000), présentée au théâtre Aux Écuries depuis une semaine.

Composée de six tableaux qui forment une boucle, la pièce met les spectateurs devant diverses formes de terreur et en observe l'impact. Du régime de peur imposé par un patron sans envergure au branle-bas de combat provoqué par des bagages oubliés sur le tarmac, de la crainte maladive des étrangers aux jeux sexuels qui tournent mal, les dramaturges débusquent la peur dans ses manifestations les plus exceptionnelles, les plus sournoises et les plus banales...

Olivier Coyette, jeune metteur en scène d'origine belge, affiche d'entrée de jeu son parti pris pour une forme de réalisme, teinté d'onirisme. Voire de surréalisme. L'essentiel de la première partie s'avère en effet déroutant. Les incongruités s'empilent et le ton change du tout au tout d'une scène à l'autre.

Dans l'aéroport fermé, un passager pressé (Fabien Cloutier) se bute à un étrange tandem de voyageurs qui philosophent avec acuité sur la peur tout en évoquant un autre tandem beaucoup moins perspicace: Dupont et Dupond. Tandis que les amants clandestins de la deuxième scène s'ébattent dans le plus grand détachement, un suicide transforme une banale journée de travail au bureau racontée à la scène trois en un moment de pure comédie noire, non exempte de cabotinage.

Et c'est sans compter ces détails qui clochent et titillent l'esprit: pourquoi le militaire a-t-il une grappe de raisins dans les mains? Pourquoi l'amant porte-t-il un bonnet et un maillot de bain et sa maîtresse un tutu? Pourquoi ces étiquettes sur les vêtements du petit cadre joufflu? Bref, à l'entracte, on ne peut s'empêcher de se demander dans quel train on a sauté et où il mène.

La deuxième partie, plus grave, vient rétablir l'équilibre et, surtout, cimenter le tout. La boucle est bouclée. Au-delà de l'éloquente réflexion politique à l'oeuvre dans le texte des frères Presnyakov et en plus de nous mettre face à notre absurde cohabitation quotidienne avec diverses formes de violence, Olivier Coyette montre combien notre imaginaire est contaminé par la peur. D'où cette suite de scènes traitée comme un long cauchemar et les clins d'oeil surréalistes.

Terrorisme, jouée dans des décors minimalistes et évocateurs, s'affirme comme du théâtre ingénieux et imparfait, réalisé avec trois bouts de ficelle et de bonnes idées. Du théâtre qui parle de et à l'imaginaire. Du théâtre à la fois profond, férocement ironique et parfois tout simplement loufoque.

Monique Miller est fantastique dans le rôle d'une vieille femme raciste. Mani Soleymanlou (vu dans trois autres productions depuis l'hiver dernier) montre une fois de plus sa polyvalence et sa justesse. Puisque cette production est en fait une coproduction avec la Belgique, où Terrorisme sera présenté en janvier, il faut souligner le bonheur qu'on a eu à découvrir les acteurs Benoît Van Dorslaer et, surtout, le formidable Christian Crahay.

Jusqu'au 12 décembre au théâtre Aux Écuries.