Ébranlés par la chute mortelle de Yann Arnaud, les acrobates ne réclament toutefois pas de changements.

La chute mortelle de l'artiste de cirque français Yann Arnaud, samedi soir à Tampa, a beau soulever des questions sur la prise de risques et les mesures de sécurité des compagnies de cirque, les acrobates qui ont accepté de parler à La Presse ne changeraient rien à leurs habitudes.

Samedi soir, Yann Arnaud, 38 ans, exécutait un numéro de sangles aériennes (à deux) dans le spectacle Volta du Cirque du Soleil. Au moment de rejoindre son partenaire, alors qu'il était en mouvement, à une hauteur de cinq mètres, il a perdu sa sangle et s'est écrasé sur la scène. Il a succombé à ses blessures un peu plus tard à l'hôpital.

Une enquête est en cours pour déterminer la cause exacte de la chute. Dimanche, le PDG du Cirque Daniel Lamarre a toutefois écarté la possibilité d'une défectuosité dans l'équipement. Le spectacle doit reprendre dans deux semaines au New Jersey, mais le Cirque n'était pas en mesure hier de dire si le numéro de sangles allait être conservé.

«C'est sûr qu'on réfléchit à ça»

Bruno Gagnon, qui a travaillé pendant cinq ans avec le Cirque (sur le spectacle Corteo), admet que chaque accident tragique fait réfléchir les artistes de cirque.

«C'est sûr qu'on réfléchit à ça, nous a dit l'artiste, qui se trouve en France avec sa troupe Flip Fabrique. On vérifie nos équipements, on redouble de prudence, mais il faut savoir que c'est très rare de faire une chute en sangles. La main est vraiment bien prise, avec un point d'ancrage, c'est une des disciplines aériennes les plus sécuritaires, plus que la barre russe ou le tissu, par exemple. Est-ce qu'il était fatigué? Est-ce qu'il a eu un malaise? On ne sait pas.»

Depuis quelques années, on a quand même l'impression que le nombre d'accidents mortels (trois au Cirque du Soleil) ou avec des séquelles importantes est en augmentation. Ce que Daniel Lamarre explique par le volume de spectacles du Cirque, «multiplié par 1000».

Trop de risques?

Une question demeure: est-ce que les artistes de cirque prennent trop de risques?

«L'adrénaline qu'on ressent quand on fait un numéro dangereux, la réaction du public, les applaudissements, c'est notre première paie», affirme Bruno Gagnon.

«C'est un rapport complexe. Mais le public vient, lui aussi, pour voir ce risque qu'on prend et pour avoir des frissons. Même si on ne souhaite jamais qu'il y ait un accident en plein spectacle.»

«Est-ce qu'on prend trop de risques? En général, je ne crois pas. D'ailleurs, il y a peu d'accidents vu le nombre de numéros», ajoute-t-il.

L'artiste de cirque Maxime Girard, qui est devenu tétraplégique en 2013 après une chute en trampoline lors d'un spectacle à Oman (avec la compagnie Milord Entertainment), a le même point de vue.

«C'est peut-être un triste constat venant de la part de quelqu'un comme moi, qui vit avec les séquelles d'une prise de risques, mais le risque fait partie intégrante du métier. C'est ce qui le rend si extraordinaire, si beau, si intéressant. On parle de risque calculé, bien sûr. En fait, notre pire ennemi, c'est nous-mêmes. Il faut connaître ses limites parce que c'est vraiment nous qui nous poussons, qui voulons être les meilleurs... Mais c'est pas toujours facile de connaître ses limites. Parfois, on a envie de pousser plus loin, c'est une question d'orgueil.»

Avec l'augmentation du nombre d'accidents, Maxime Girard croit qu'il faut prendre encore plus conscience du risque. «On ne peut plus faire de la pensée magique et se dire que ça ne nous arrivera pas. Ça m'est arrivé. Et là, c'est arrivé à Yann, alors que normalement, les sangles, c'est hyper sécuritaire...»

Photo tirée de Facebook

L'artiste de cirque Yann Arnaud est mort après avoir fait une chute pendant un spectacle du Cirque du Soleil, samedi soir, à Tampa.

«Ce risque, c'est quand même notre métier»

Matias Plaul, qui a travaillé avec le Cirque du Soleil (ZedIris) et les 7 doigts, a eu l'occasion de réfléchir à la question l'été dernier. L'artiste d'origine argentine a eu un traumatisme crânien lors d'une chute au mât chinois, dans un spectacle présenté sur une scène extérieure par Montréal complètement cirque. «S'il n'y avait pas eu de tapis, je ne serais pas là, parce qu'on était dehors. Ça m'a sauvé la vie. Mais ça dépend des disciplines», indique celui qui est maintenant complètement rétabli.

«Moi, je ne crois pas que ça vaut la peine de mourir en faisant du cirque. Je veux faire autre chose plus tard, avoir des enfants.»

«Personnellement, je ne me suis jamais poussé trop loin. Si je suis fatigué, j'y vais plus tranquillement, c'est tout, explique Matias Plaul. Mais des accidents, malheureusement, ça arrive. Comme ça m'est arrivé. Est-ce que certains artistes vont trop loin? Ça se peut, mais en général, je ne crois pas. La vérité, c'est qu'on peut mourir en faisant n'importe quoi. Malgré ce risque, c'est quand même mon métier. Mais je ne ferai jamais quelque chose qui pourrait mettre ma vie en danger. Et je suis sûr que c'était pareil pour Yann.»

Trop d'artistes?

Il y a moins de deux ans, l'artiste de cirque Karina Silva Poirier, qui avait un numéro aérien dans le spectacle La Nouba du Cirque du Soleil, s'est fracturé le crâne après avoir fait une chute de 30 pieds lors d'une répétition. La jeune femme a miraculeusement survécu à l'accident, mais elle est toujours en réadaptation.

La cofondatrice des 7 doigts de la main, Gypsy Snider, n'a pas voulu commenter l'accident de Yann Arnaud, mais elle croit que le nombre d'artistes de cirque est en cause.

«Le risque est le même, mais aujourd'hui, avec la multiplication des sports extrêmes et du nombre d'artistes de cirque, j'ai l'impression que cette prise de conscience du risque est peut-être moins bien comprise. Il reste que c'est l'essence du cirque.»

Est-ce qu'avec la popularité croissante du cirque et le nombre de plus en plus important de spectacles qui sont présentés, les artistes ne vont pas un peu plus loin qu'avant?

«Oui, plus les gens prennent des risques acrobatiques élevés, plus ça entraîne les autres à en prendre, admet Gypsy Snider. Par contre, on a une règle d'or: si un artiste n'est pas dans son élément ou ne se sent pas capable de faire un numéro, pour quelque raison que ce soit, on lui dit de ne pas le faire. Même si c'est au milieu du spectacle, on s'en fout! Je parle toujours à nos artistes de l'intelligence de l'acrobate. Il n'y a rien de plus facile que d'enlever un numéro ou de le remplacer par autre chose. On adapte le spectacle. Si on n'est pas capable de faire un show qu'on va pouvoir jouer huit fois par semaine, ça sert à quoi?»

Photo Olivier Jean, Archives La Presse

Maxime Girard