Un mois après avoir lancé Toruk dans la petite ville louisianaise de Shreveport, le Cirque du Soleil s'apprête à planter son arbre-maison à Montréal. Avec cette nouvelle production inspirée du film Avatar, les metteurs en scène Michel Lemieux et Victor Pilon promettent de nous surprendre.

La collaboration entre la boîte de production Lightstorm Entertainment de James Cameron et Jon Landau et le Cirque du Soleil était écrite dans le ciel, comme on dit. Avant même la sortie d'Avatar, en 2009, James Cameron aurait invité le président et chef de la direction du Cirque, Daniel Lamarre, dans son studio de Los Angeles pour lui parler de son film de science-fiction et faire plus ample connaissance.

C'est que les fameux Na'vis bleus de la planète Pandora ont été directement inspirés par les colorés personnages du Cirque, nous a confirmé Jon Landau. Pas étonnant donc que, sept ans plus tard, le Cirque s'inspire à son tour de l'univers créé par James Cameron, qui a déjà qualifié de «match parfait» la réunion des deux entreprises de divertissement.

Les metteurs en scène de Toruk, Michel Lemieux et Victor Pilon, qui ont également conçu les projections vidéo - d'une importance inégalée pour le Cirque -, l'ont dit et redit: ce spectacle ne sera pas comme les autres. On a pu le constater de visu lors d'une présentation aux médias cet automne: Toruk ne mise absolument pas sur la performance acrobatique de ses 35 artistes.

Le tandem québécois, qui en est à sa quatrième collaboration avec le Cirque, a plutôt privilégié la piste du «récit narratif» - notamment pour des raisons budgétaires - et, pour la première fois de son histoire, non seulement il y aura un narrateur sur scène, mais les acrobates porteront tous des micros pour interpréter les personnages de Na'vis. Ils ont même appris à parler la langue imaginaire des Omaticayas - le na'vis!

Pandora sans les avatars

Comme nous l'avons déjà écrit, il ne s'agit pas d'une adaptation du film. L'histoire se passe des milliers d'années avant celle racontée par James Cameron, donc avant l'arrivée des avatars - une idée attribuée à Guy Laliberté.

Une fable toute neuve a donc été écrite par Michel Lemieux et Victor Pilon avec l'aide du dramaturge Olivier Kemeid. James Cameron a non seulement approuvé le scénario, mais il a également participé à son écriture.

Cette histoire met en scène trois jeunes Na'vis (Ralu, Entu et Tsyal) qui tenteront de rallier les clans de Pandora pour lutter contre une éruption volcanique qui menace l'arbre des âmes. Vous vous souvenez du grand oiseau rouge que Jake Sully avait réussi à dompter, le Toruk? Les auteurs racontent ici l'histoire de la première «âme pure» à l'avoir monté, 3000 ans plus tôt.

«Toutes les figures acrobatiques seront au service du récit, ont averti les metteurs en scène. Il n'y aura pas de numéros individuels de haute voltige. D'ailleurs, budgétairement, on ne pouvait pas se le permettre. Lorsque James Cameron a vu la pièce en création, raconte Victor Pilon, ça lui a plu. Il a apprécié l'énergie collective du groupe, l'absence de narcissisme que l'on retrouve souvent dans les numéros acrobatiques.»

Sébastien Dodge rejoint la troupe

La narration des représentations francophones de Toruk (à Montréal et à Québec) a été confiée à l'acteur et metteur en scène Sébastien Dodge.

Celui qu'on associe au théâtre d'avant-garde québécois n'a pas hésité à faire le saut. «Dans le fond, j'ai toujours été un acteur physique, répond Sébastien Dodge, et c'est vraiment un rôle d'acteur que je joue. Je trouve qu'il y a quelque chose du vieux théâtre grec dans l'arène du Cirque. Honnêtement, c'est un beau plateau pour moi.»

Quand on lui fait remarquer que d'Espace libre (où il a souvent joué) au Centre Bell, il y a un pas énorme qu'il s'apprête à franchir, le comédien acquiesce, non sans un brin de nervosité. «Ma première générale aura lieu devant 5000 personnes! Mais c'est cool! En un spectacle, on rejoint plus de monde que dans trois productions combinées de notre compagnie!»

Le cofondateur du Théâtre de la Pacotille nous apprend qu'il fait également partie de la «liste» de clowns du Cirque. Il travaille même à la création d'un numéro avec David Alexandre Després, qu'on a vu dans Kurios à l'été 2014. «Il y a un côté clownesque dans mes pièces, quelque chose qui se rapproche de la farce, de la comédie grotesque», dit-il.

Travail d'équipe avec Raymond O'Neill

Sébastien Dodge, qui a été lancé dans la mêlée il y a à peine trois semaines - au départ, la voix française devait être simplement enregistrée -, a rejoint la troupe en Virginie pour se préparer à son rôle. Il travaille essentiellement avec l'acteur canadien Raymond O'Neill (Dallas Buyers Club, Traffic), qui assure la narration en anglais depuis le début de la création.

«Il est vraiment gentil, nous dit Sébastien Dodge, joint dans le Maine. Il m'a tout montré, il me prête sa cape. Je travaille aussi avec le directeur artistique de la tournée, Fabrice Lemire. Je répète le jour durant certaines périodes; le reste du temps, j'observe et j'apprends. J'ai beaucoup de plaisir à regarder ce spectacle et je vois vraiment son évolution. Ça commence à être bien rodé.»

Les metteurs en scène ont exprimé plusieurs fois le voeu de projeter le spectateur dans un film en 3D... avec des acteurs vivants. Pour le plonger dans le monde de Pandora. C'est le pari qu'ils espèrent gagner au Centre Bell, ne sachant pas encore très bien comment réagiront les inconditionnels du film Avatar ni les fans de la première heure du Cirque, qui s'attendent toujours à plus de prouesses acrobatiques.

Trois faits saillants

Une expérience immersive

Le Cirque a créé une application qui permettra aux détenteurs de billets d'entrer la date de la représentation à laquelle ils vont assister et leur numéro de siège. Pendant le spectacle, ils recevront des indications afin d'interagir avec le système de projections grâce à la géolocalisation. Par exemple, ils pourront attirer vers eux les petites lucioles de l'arbre des âmes. Les yeux des loups-vipères apparaîtront également sur certains appareils, de manière à donner l'impression que les bêtes sont dans l'amphithéâtre. La consigne avant le début du spectacle sera donc de s'assurer que vos appareils sont bien... allumés!

Les marionnettes à l'honneur

Le Cirque a déjà conçu des marionnettes pour ses spectacles, notamment pour Michael Jackson - The Immortal Tour, mais jamais de cette ampleur. Patrick Martel en a conçu une quinzaine, qui représenteront toute la faune de Pandora, à commencer par les loups-vipères et les équidius, mais aussi les grands oiseaux-dragons avec lesquels les Na'vis se connectent avec leur natte. De nouvelles bêtes ont même été créées pour l'occasion: des tortapèdes et des austropèdes. Toute cette ménagerie sera manipulée à vue par six marionnettistes d'expérience qui seront vêtus de noir et qui représenteront l'esprit d'Eywa.

Des costumes intelligents

La conception des costumes a toujours été au coeur des productions du Cirque. Toruk ne fait pas exception à la règle. Seulement voilà: les survêtements bleus censés représenter la peau des Na'vis devaient prendre des teintes différentes pour représenter les différentes tribus et être visibles dans l'obscurité. Ils devaient aussi changer la morphologie des artistes pour évoquer la silhouette élancée des Na'vis. La conceptrice Kym Barrett, qui a fait les costumes du film The Matrix et travaillé sur Totem avec Robert Lepage, a créé environ 140 costumes pour les 35 artistes.

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Au Centre Bell à partir du 21 décembre. Les représentations du 23 et du 28 décembre seront données en anglais.