Pour Noir, une « comédie fataliste métaphysique » coécrite avec Evelyne de la Chenelière, Christian Bégin et Justin Laramée, le metteur en scène Jérémie Niel a fait appel à un concepteur sonore venu du cinéma : Sylvain Bellemare. Ce dernier a mis son expertise au profit d'une expérience sensorielle.

Quand on lui demande à quoi le spectateur de Noir doit s'attendre, Jérémie Niel évoque deux références cinématographiques bien précises : La nuit du chasseur (Charles Laughton) sur le plan esthétique, avec l'évocation de l'époque du film noir d'avant la couleur, et Fargo (Joel et Ethan Coen) pour l'état d'esprit.

Le metteur en scène, déjà reconnu pour décloisonner les codes dans les arts de la scène, pousse cette fois sa démarche encore plus loin. Noir est une pièce où prime avant tout la stimulation des sens du spectateur.

« Le fait de travailler avec des micros permet aux comédiens de jouer de façon beaucoup plus cinématographique que théâtrale, explique-t-il. On peut alors emprunter une approche plus subtile. C'est comme un effet de zoom dans un film. Je suis un grand consommateur de cinéma et ça devient instinctif chez moi. J'aime entremêler les deux approches et trouver un équilibre. »

Les codes du polar

Le point de départ de cette pièce découle de la volonté mutuelle de Jérémie Niel et d'Evelyne de la Chenelière de travailler de nouveau sur un projet commun, après Tentatives et La concordance des temps. En plus de jouer dans la pièce, l'auteure a coécrit le « scénario » avec le metteur en scène et deux de ses partenaires de jeu : Christian Bégin et Justin Laramée. Campé dans une forêt au Québec en 1926, le récit est construit autour de trois personnages aux prises avec un cadavre encombrant.

« On s'amuse avec les codes du polar, fait remarquer Jérémie Niel. Il s'agit d'un genre littéraire et cinématographique qui permet d'aller fouiller dans les zones les plus profondes de l'âme humaine. J'aime avoir sur scène des êtres humains complexes, qu'on peut montrer sous tous leurs aspects, légers ou sombres. C'est ça qui est beau. Et puis, j'aime les mélanges étonnants, autant que les contre-emplois. Écrire à quatre est à la fois ambitieux et compliqué. Certains étaient plus dans l'action, d'autres dans une dimension plus métaphysique. Mais Evelyne a bien su diriger les choses. Et comme les auteurs sont aussi les comédiens, on pouvait voir ce que ça donnait tout de suite au fil de l'écriture. »

Un artisan oscarisé

C'est aussi grâce à Evelyne de la Chenelière que l'idée d'embaucher un concepteur sonore issu du milieu cinématographique a été évoquée. Comme ils se sont connus sur le plateau de Monsieur Lazhar, un film inspiré d'une pièce qu'elle a écrite, l'auteure a en effet pensé à Sylvain Bellemare pour élaborer la conception sonore de Noir. Ce dernier, rappelons-le, a été récompensé d'un Oscar il y a deux ans grâce à son travail sur Arrival, film de Denis Villeneuve.

« C'est la première fois qu'on me propose de travailler au théâtre sur une pièce de fiction contemporaine. J'avoue que ça m'émeut de travailler sur une pièce montée au Quat'Sous parce que j'ai vu là des choses qui m'ont beaucoup marqué dans ma jeunesse ! », s'exclame Sylvain Bellemare.

Sylvain Bellemare a été séduit par la proposition très « cinématographique » que Jérémie Niel lui a faite. Noir comporte peu de dialogues et mise essentiellement sur les ambiances visuelles et sonores.

« C'est très intéressant parce que l'approche est très sensorielle. Mais c'est quand même très différent comme travail, d'autant que j'arrive là comme un néophyte. Cela dit, je trouve la démarche fantastique car on peut voir comment les choses peuvent évoluer très rapidement. Au cinéma, et c'est normal parce que ça coûte cher, on est figé dans quelque chose de beaucoup plus lourd. Là, il y a des parties qui sont vraiment cinématographiques. Un peu comme des images à monter. »

L'art de l'éphémère

Jérémie Niel, qui loue l'apport du concepteur sonore, notamment à propos de la recherche d'efficacité, tient à ce que ses pièces empruntent l'allure d'un produit fini au jour de la première. Entendez par là que le processus évolutif est alors terminé.

« J'aime l'idée de construire une oeuvre, note-t-il. Je suis un peu jaloux des cinéastes et des écrivains qui peuvent conserver leur oeuvre grâce à des supports tangibles. Le théâtre est l'art de l'éphémère. Je vis un peu mal avec ça. »

Le metteur en scène, qui dirige la compagnie de création Pétrus, entretient d'ailleurs un rapport un peu ambigu avec le théâtre, dans la mesure où ses fantasmes artistiques lui sont principalement dictés par le cinéma.

« Les hasards de la vie ont fait que je me suis dirigé vers le théâtre, mais j'entretiens avec lui une espèce de rapport amour-haine. J'aime me bagarrer avec lui, le détester parfois. Des choses intéressantes peuvent sortir de ce combat. J'ai une vision du théâtre vraiment horizontale, avec l'idée d'un paysage en format 16:9. Ça se traduit aussi dans le récit. »

De son côté, Sylvain Bellemare dit être touché par l'effet de balancier inverse que provoque cette inspiration cinématographique au théâtre, un art dans lequel le cinéma a souvent puisé au fil des décennies. Il ressort en tout cas ravi de son expérience.

« Ça m'a fait un bien immense, s'exclame-t-il. Le cinéma est un univers qui peut parfois être trop princier, parce qu'il y a trop d'argent. On peut être déconnecté de la réalité dans laquelle vivent les artistes en général. Quand je constate les conditions dans lesquelles travaillent les comédiens de théâtre et les danseurs, en comparaison à celles qu'on retrouve dans le milieu du cinéma, ça me révolte ! »

Mettant en vedette Christian Bégin, Evelyne de la Chenelière, Justin Laramée et Stefania Skoryna, Noir sera présenté au Théâtre de Quat'Sous du 22 janvier au 9 février.