«En créole, l'expression "ti sous" ("ma source") est une référence affectueuse au vagin. Le créole, c'est la langue du ressenti, de notre coeur», partage Florence Jean Louis Dupuy, metteure en scène de l'adaptation haïtienne des Monologues du vagin. Le temps d'une soirée à la salle Marie-Gérin-Lajoie, Pawòl Chouchoun se veut une invitation dans le cercle intime des femmes haïtiennes.

Quand Fabienne Colimon interprète sur la scène un accouchement, elle revit la naissance de sa propre fille. «Imaginez-vous à quel point cela est fort et émouvant pour moi!», s'épanche au bout du fil cette comédienne haïtienne, qui fait partie de la distribution de Pawòl Chouchoun (traduction créole des Monologues du vagin) depuis les tout débuts de la production, en 2003.

Monologues sur les premières menstruations, sur les viols dans les camps bosniaques, sur le regard horrifié d'une femme qui regarde pour la première fois son vagin... Le texte phare d'Eve Ensler aura à ce jour été traduit en 48 langues et présenté dans plus de 140 pays.

Programmée dans le cadre du festival Haïti en folie, Pawòl Chouchoun, une version 85 % francophone et 15 % créole du texte d'Eve Ensler, en est à sa troisième visite à Montréal. Depuis que Florence Jean Louis Dupuy a eu l'intuition d'adapter cette pièce à la réalité de ses compatriotes, le spectacle connaît un destin d'exception.

«C'est incessant, les salles sont toujours remplies. Comme si la pièce possédait sa propre énergie, en dehors de nous-mêmes.»

Monologues haïtiens

En 2003, lors d'une participation au festival d'Avignon, Florence Jean Louis Dupuy a découvert les Monologues. «Tout de suite, j'ai pensé que c'était un discours à transporter dans notre pays. Qu'il fallait le rendre accessible et acceptable», relate-elle.

Aussitôt dit, aussitôt fait.

Quelques mois après la création du spectacle, la dramaturge américaine Eve Ensler a fait le voyage en Haïti pour voir ce qu'avait fait l'équipe de Florence Jean Louis Dupuy. «Elle a tellement aimé notre version qu'elle nous a financées pour que nous la diffusions dans les villes de province. En septembre 2014, nous avons même joué au parlement haïtien.»

Seule pièce du répertoire haïtien à avoir été jouée à Port-au-Prince plus d'une quarantaine de fois - «on nous la réclame sans arrêt!», rapporte Florence Jean Louis Dupuy -, Pawòl Chouchoun a aussi été montée à Paris, au Festival d'Avignon, en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane.

Toujours accueillie chaleureusement, Pawòl Chouchoun a le don de causer stupéfaction, un peu de gêne, beaucoup d'émotions et surtout de mettre en lumière certains sujets tabous en Haïti «dont les personnes bien élevées ne parlent pas...» 

«Pawòl Chouchoun a offert un nouveau regard sur le sexe féminin en Haïti. Cela parle du droit de la femme au plaisir, avec sur scène toutes les générations confondues.»

L'adaptation qu'a faite Florence Jean Louis Dupuy a beaucoup pris en compte la réalité des femmes haïtiennes, qui ne se reconnaissent pas toujours dans l'univers d'Eve Ensler. «Certaines parties de la pièce ne branchent pas du tout les femmes haïtiennes. "L'atelier du vagin", par exemple, où des femmes se réunissent pour découvrir leur vagin, c'est quelque chose d'inimaginable pour les femmes haïtiennes», dit la metteure en scène, qui reconnaît que la pièce a évolué au fil des ans.

«Déjà, la traduction en créole de la scène de viol a donné au texte une toute nouvelle dimension: au début, quand on l'a jouée en français, les gens riaient, alors que ce n'était pas du tout une scène comique. Mais quand on a introduit le créole, le public pleurait, était bouleversé. Pour moi, la version occidentale est plus froide et intellectuelle, et celle en créole est plus chaleureuse, sensuelle et rythmée. C'est difficile de vous dire pourquoi. Pour comprendre, il faut venir voir la pièce!»

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À la salle Marie-Gérin-Lajoie le 29 juillet, 19 h, dans le cadre du festival Haïti en folie.