Économie fragile, distances considérables, transformation des habitudes de consommation de la culture, coupes tous azimuts dans les organismes de développement régionaux: les salles de spectacles situées à l'extérieur de Québec et de Montréal font face à de sérieux défis.

Au moment où commence une vaste consultation sur le renouvellement de la politique culturelle du gouvernement du Québec, de nombreux diffuseurs de spectacles en région ont le vague à l'âme.

«Le moral est morose», constate Solange Morrissette, directrice générale du Réseau des organisateurs de spectacles de l'est du Québec (ROSEQ), qui regroupe plus d'une trentaine de diffuseurs, principalement dans le Bas-du-Fleuve, en Gaspésie et sur la Côte-Nord. «Les gens ont moins d'argent et ils prennent moins de risques, dit-elle. Ce sont les artistes émergents, le théâtre de création, la danse qui risquent de payer en premier.»

Un diagnostic que partage son homologue Carole Kipling, du Réseau Centre, qui réunit des salles de l'Estrie, de la Mauricie, du Centre-du-Québec et de la région de Chaudière-Appalaches. «Tout est difficile. Il n'y a plus de recette magique.»

Pour les spectateurs, l'offre de spectacles demeure abondante, en raison notamment de l'émergence de «lieux de diffusion alternatifs». Mais les dirigeants des salles pluridisciplinaires qui ont le mandat de développer de nouveaux publics doivent retrousser leurs manches, en particulier dans les régions dont l'économie tourne au ralenti.

À Gaspé, le diffuseur de la Ville, CD Spectacles, a profité à plein de la curiosité suscitée par sa nouvelle salle de 540 places, qui a accueilli ses premiers spectateurs en septembre 2014. Des tournées nécessitant de grands plateaux, comme celles des Morissette ou de Rachid Badouri, peuvent aussi y faire escale, ce qui était impossible auparavant.

Mais déjà, la directrice Josée Roussy prévoit l'an prochain 8 spectacles de moins que les 48 au programme cette année. «C'est considérable. Et ça a un impact sur nos techniciens à contrat. Ça fait moins de gens qui travaillent sur des projets.»

Mme Roussy n'est pas la seule à devoir réduire ses ambitions. À Sept-Îles, le directeur général de la salle de spectacle Jean-Marc-Dion, Stéphan Dubé, confiait récemment à La Presse que le nombre de représentations diminuerait de 15 % l'année prochaine. L'économie de la ville est minée par la crise du fer: les ventes de billets ont diminué du tiers par rapport à l'an dernier.

«On ne peut pas tirer les gens par la main», soupire-t-il.

«Moins les gens viennent, moins on a de sous pour investir dans les spectacles à venir.»

Renouveler le public

Soixante kilomètres plus à l'ouest, le café-théâtre Graffiti de Port-Cartier, une salle beaucoup plus petite - 175 places, contre 840 à Sept-Îles -, s'en tire mieux. Son directeur Yves Desrosiers constate toutefois que les ventes sont plus lentes qu'avant. «Pour des artistes comme Louis-Jean Cormier ou Mike Ward, normalement, en une demi-heure, tout était parti. Là, ça peut prendre trois ou quatre jours. Mais on remplit la salle.»

Attirer les jeunes est un défi considérable, souligne M. Desrosiers, comme plusieurs autres diffuseurs interrogés par La Presse. «La nouvelle génération n'a pas la même façon de consommer les arts de la scène que les précédentes, dit-il. Les jeunes sont très multitâches et ont de la misère à regarder une vidéo de trois minutes au complet, alors consacrer deux ou trois heures à un seul artiste, pour eux, c'est un sacrifice énorme!»

À l'autre bout de la province, le directeur du Théâtre du cuivre de Rouyn-Noranda, Jacques Matte, met un bémol. «Quand [l'humoriste] Philippe Bond vient ici, j'ai tous les 16-35 ans. Ils consomment ce qu'ils veulent bien, les jeunes. C'est pas en les forçant à aller voir du théâtre [qu'on va les attirer]», dit ce vétéran de la scène culturelle abitibienne.

L'humour en tête

Les humoristes font d'ailleurs la pluie et le beau temps dans les salles québécoises. En 2014, dernière année pour laquelle des données sont disponibles, 8 des 10 spectacles ayant attiré le plus de spectateurs étaient des spectacles d'humour.

Ces succès populaires permettent de subventionner les spectacles plus pointus comme le jazz ou la musique classique. Et encore, pas toujours, dit Colette Brouillé, directrice générale de RIDEAU, qui représente 165 diffuseurs de spectacles québécois.

«Quand les humoristes atteignent une certaine notoriété, les diffuseurs ne sont plus capables de rentabiliser leur spectacle à cause des cachets trop élevés. Ce n'est plus la vache à lait que c'était.»

La chanson francophone, encore moins. Hormis les vedettes produites par les grosses machines comme Star Académie ou La voix, elle peine à faire courir les foules depuis plusieurs années déjà, souligne M. Matte. «La chanson de contenu, dit-il, les jeunes vont l'écouter dans les bars ou au Festival de musique émergente», allusion au populaire événement qui a lieu à Rouyn-Noranda depuis 2003.

Une mission culturelle et sociale

La prolifération des nouveaux lieux de diffusion n'est pas une mauvaise chose, reconnaît Josée Roussy, de CD Spectacles, à Gaspé. «Mais il faut considérer la mission de chaque organisation. Et la mission [des salles pluridisciplinaires] n'est pas de faire de l'humour ou de vendre de la bière. On a une mission culturelle, sociale et politique à remplir. C'est là qu'on est parfois désavantagés par rapport aux lieux alternatifs, qui n'ont pas la mission d'éduquer le spectateur de demain.»

Selon Mme Brouillé, de RIDEAU, le gouvernement devra prévoir dans sa prochaine politique culturelle - qui fait l'objet de consultations régionales cet été et doit être dévoilée en 2017 - un financement accru aux diffuseurs pour leur mandat de «médiation culturelle», cet effort pédagogique qui vise notamment à démocratiser l'accès aux productions artistiques.

Bref, il faut «prioriser l'art vivant», résume Julie Carrière, directrice depuis 15 ans de la salle Odyssée de Gatineau. «La rencontre entre le public et les artistes reste primordiale et devrait être au coeur de la prochaine politique.»

Des réformes qui font mal

Les diffuseurs des régions regrettent amèrement la suppression par le gouvernement Couillard des Conférences régionales des élus (CRÉ) et des Centres locaux de développement (CLD). Leur disparition a compliqué singulièrement leurs efforts de concertation. «On n'a plus d'interlocuteurs!», dit Carole Kipling, du Réseau Centre. «On a perdu de l'expertise en région. C'est un drame. Juste en Estrie, j'ai sept MRC. Si j'ai un projet pour faire venir des artistes d'une autre région, par exemple, je dois aller voir chacune des MRC pour les convaincre d'accorder un financement.»