On l'attendait avec impatience, ce western spaghetti de Sébastien Dodge qui s'intéresse à la naissance du Canada. Plus particulièrement à la construction du chemin de fer et à la conquête de l'Ouest. Un exercice qui remet en question les intentions véritables des pères de la Confédération.

L'auteur de La guerre et La genèse de la rage n'y va pas «avec le dos de la main morte», comme dirait un illustre collègue. Il nous dépeint le premier ministre John A. Macdonald comme un alcoolique arrogant et malveillant. Pis, un assassin canardant (avec ses deux revolvers Winchester) Indiens, métis et francophones sur son chemin.

Le lieutenant québécois de Macdonald, George-Étienne Cartier, en prend pour son grade... Il agit comme complice dans cette entreprise de pillage qui sert les intérêts du CP, cet «enfant de chienne capitaliste» qui a "écrasé la nature». Cartier y est représenté comme un mou incapable de défendre les intérêts des siens.

Avec ce pastiche historique, Sébastien Dodge (surnommé le Tarantino du théâtre) s'est amusé à grossir les traits des acteurs politiques canadiens de l'époque pour illustrer, entre autres, le mépris qu'avaient les Anglais pour les colons francophones. À coups de pow-pow, il nous rappelle à quel point la formation du Canada était improbable.

Dans ces rôles, Félix Beaulieu-Duchesneau et Mathieu Gosselin forment un redoutable duo, les deux acteurs formant le tableau principal de cette histoire, racontée côté cour, sous un panneau où l'on peut lire: «Cette scène se passe évidemment en anglais», au-devant d'une immense fresque représentant l'Ouest canadien. Épique.

À cette «grande histoire», Dominion fait le récit d'un couple de colons francophones terré dans la forêt, traqué par les loups, une métaphore de la menace anglaise(?). On y suit également les allées et venues d'un coureur des bois (Patrice Dubois, toujours aussi magnétique) amoureux de la nature, catastrophé par le passage de «la bête» (le train).

Enfin, la dernière pièce du puzzle est représentée par le personnage de sir Wilfrid Laurier (méconnaissable Miro Lacasse), premier francophone à occuper le poste de premier ministre du Canada (après le règne de John A. Macdonald). Sébastien Dodge se paie la tête de celui qui, en son temps, a refusé d'accorder des droits aux francophones du pays...

L'homme politique libéral apparaît sur scène en se hissant d'une immense chaise berçante. Il y va de chansons à répondre du folklore québécois qu'il chante en s'adressant au public. Dans un des derniers tableaux, il étouffera une poupée de grand-mère assise sur la berceuse pendant qu'on entend l'hymne national canadien... Intense.

Il y a là sans doute tous les ingrédients nécessaires pour façonner une matière dramaturgique d'intérêt pour le théâtre. Mais le résultat est inégal, la pièce défilant comme une suite disparate de polaroïds. Les comédiens jouent à nous raconter cette grande histoire, comme autant de petites «minutes du patrimoine» revues et corrigées.

L'exercice n'est pas inintéressant et offre des moments divertissants, mais il demeure limité. La petite histoire, porteuse d'émotions, peinant à s'inscrire dans la grande.

> À l'Espace libre jusqu'au 28 septembre.