Depuis 20 ans ils jonglent avec des balles, des anneaux et des massues. Mais dans Smashed, les neuf membres de la troupe anglaise menée par Sean Gandini lanceront sur scène des pommes. Quatre-vingts pommes du Québec. Un spectacle de jonglerie et de danse qui se veut aussi un hommage à la chorégraphe Pina Bausch.

Même si Gandini Juggling se produit pour la première fois à Montréal, son fondateur Sean Gandini connaît bien les artistes de cirque montréalais. Il a d'ailleurs enseigné à l'École nationale de cirque de Montréal et à l'École de cirque de Québec, il y a deux ans. «On a rencontré chez vous un artiste magnifique, Eric Bates, mais les 7 doigts ont mis la main dessus... On le voulait!», dit-il en rigolant.

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«Montréal est un des repaires du cirque contemporain, poursuit Sean Gandini dans un français parfait. Les artistes d'aujourd'hui savent jouer, danser et jongler. Il faut dire que la discipline a beaucoup évolué depuis 20 ans. Nous, on était assez radicaux à l'époque», raconte Sean Gandini, qui a fondé sa troupe de jongleurs en 1992 avec l'artiste finlandaise Kati Ylä-Hokkala, une championne de gymnastique rythmique.

«On a pris des risques artistiques importants en jumelant jonglerie et danse dans l'esthétique d'artistes comme Trisha Brown ou Merce Cunningham, des formes abstraites dans l'espace. C'était intéressant pour nous de voir que le cirque a été dans cette direction-là», explique ce nomade né en Angleterre d'une journaliste irlandaise et d'un chimiste italien, mais qui a grandi à Cuba!

Mathématique

Les jongleurs de Gandini s'inspirent de la mathématique de la jonglerie. «On s'est beaucoup inspiré des théories sur le solfège de la jonglerie. Ce sont des séquences de chiffres qui déterminent des figures . Plusieurs de nos numéros de cirque ont été conçus grâce à cette méthode.» La troupe, qui compte une vingtaine d'artistes, a créé une quinzaine de spectacles, parmi lesquels Stop Breaking my Balls.

Smashed, leur 14e spectacle, a été créé sur le parvis du Théâtre national de Londres en 2010. «On nous a donné carte blanche pour créer un spectacle juste devant le Théâtre national dans le cadre du festival Watch This Space. Pina Bausch venait de mourir et nous, pendant des années, on avait cette idée de la parade bauschienne qu'on voit dans Kontakhof. On se disait que ce serait bien d'en faire une version jonglée.»

Les neuf interprètes réinterprètent à leur manière des scènes-clés du célèbre ballet. «C'est simple et répétitif. C'est très ordonné, poli, anglais, et puis ça devient petit à petit assez anarchique et désordonné. On a travaillé avec le chorégraphe et ex-danseur aérien John Paul Zaccarini. Il a publié une thèse sur le psycho-cirque où il évoque les archétypes du cirque: le narcissique aérien, le jongleur introverti, etc.»

Outre cette marche qu'on associe à Pina Bausch, Sean Gandini s'est inspiré des rapports conflictuels entre les hommes et les femmes exprimés par la chorégraphe allemande. «Il y a deux femmes et sept hommes, donc on joue sur ce déséquilibre. Et puis les hommes ne sont pas sympathiques avec les femmes, ils sont vicieux avec elles. En même temps, il y a beaucoup de zones grises, ils ne sont pas juste méchants.»

Déséquilibre

Ce déséquilibre entre les hommes et les femmes est une réalité en jonglerie, précise Sean Gandini. «Pour 30 hommes, il y a une femme qui jongle bien. Je ne sais pas pourquoi... Je pense que c'est à la fois génétique et culturel. Remarquez qu'en danse, c'est le contraire. De toute façon, je ne tiens pas à m'étendre sur le sujet... Comme on dit chez nous, «It's a can of worms».»

Les pommes se sont ajoutées à la création par la suite. «C'est une idée qui nous est venue d'un autre spectacle qu'on voulait faire sur Newton et qui a été annulé. Je ne sais pas pourquoi, mais on a mélangé les deux univers. D'abord, c'est super agréable de jongler avec des pommes, dit Sean Gandini. Et puis, l'iconographie de la pomme est très forte avec la symbolique de la perte de l'innocence.»

Smashed, selon son créateur, est une fenêtre d'images que tout le monde peut interpréter à sa façon. «Il y a des gens qui nous envoient plein de messages, on les collige et on les appelle les Pina Files. Ce sont des gens qui connaissent tout de Pina. Il y a des gens qui voient tout plein de références que même nous ne voyons pas. Le spectacle a tellement de succès qu'on songe à créer une deuxième équipe de tournée.»

Smashed, au Théâtre Outremont, du 4 au 8 juillet.