Depuis 10 ans, on l'a surtout vu à la télé. Fortier, Temps durs, Grande Ourse, Cover Girl, Mirador, Gilles Renaud a crevé l'écran comme il a brûlé les planches pendant plus de 30 ans. Le comédien n'a pourtant jamais délaissé la scène. On l'a vu entre autres dans Minuit chrétien, Le mariage de Figaro, Le traitement... Cette semaine, il sera le roi Lear au TNM, un rôle important auquel il s'est soigneusement préparé. Rencontre.

C'était une condition essentielle pour le metteur en scène Denis Marleau. Pour monter Le roi Lear, il fallait d'abord trouver Lear, l'homme fort et vulnérable. Après avoir revu le film de Louis Bélanger, Gaz bar blues, dans lequel Gilles Renaud s'était illustré, Marleau a pris contact avec le comédien. Il avait trouvé son homme. C'était il y a cinq ans.

«Le personnage de Lear impose toute la structure autour de laquelle va se greffer la distribution et la conception de la pièce. Quand j'ai rencontré Gilles, je me suis dit, oui c'est lui.» Peu après les représentations de sa première mise en scène d'une pièce de Shakespeare, (Othello en 2007), Marleau a demandé à Normand Chaurette de traduire Le roi Lear, un travail qui a pris environ deux ans. C'est un travail qui a mûri tranquillement», précise-t-il.

Gilles Renaud, qui a joué dans deux Shakespeare dans les années 70 (MacBeth, de Michel Garneau, et La nuit des rois, d'André Brassard), a tout de suite accepté la proposition de Marleau. Pour ce rôle, il a eu le luxe de se préparer longtemps à l'avance. Pendant six mois, il passait une ou deux heures par jour à apprendre son texte. «J'ai lu la traduction de Chaurette, mais aussi plusieurs versions de la pièce, la vie de Shakespeare aussi. Ça m'a permis de bien comprendre le personnage. Quand on a commencé les premières lectures, je connaissais déjà mon texte.»

Le comédien âgé de 67 ans, s'étonne encore du fait que Shakespeare ait écrit ce drame familial il y a 400 ans. Une pièce qui parle de la sénilité, de la démence, de la vieillesse. «Je l'avais lue plus jeune, mais je l'ai vite oubliée. Aujourd'hui, j'ai l'âge du personnage, même s'il dit qu'il a 80 ans! Et c'est vrai que le personnage de Lear me touche et me bouleverse. Au-delà de la dimension politique de la pièce, Le roi Lear parle de la maltraitance des vieux. C'est très actuel.»

Spirale descendante

Rappelons les grandes lignes de la pièce de Shakespeare. Un roi vieillissant décide de se retirer des affaires courantes de son royaume. Il entreprend de léguer sa terre et ses pouvoirs à ses trois filles. Mais il cherche d'abord à évaluer l'amour qu'elles lui portent. Les deux premières (Gonoril et Regan) prennent bien soin de flatter son ego, mais la cadette (Cordelia), honnête, refuse la flagornerie. Elle sera déshéritée, puis chassée du royaume. Comme l'ami et conseiller du roi, le comte de Kent. Deux erreurs qu'il regrettra par après.

C'est le début de la spirale dramatique, qui mènera à la chute du roi Lear. Un processus de destruction rapide, puisque les deux filles aînées s'empresseront de dépouiller leur père, qui sombre dans l'errance et la folie avant d'affronter (avec le soutien du comte de Kent) une violente tempête. Une autre intrigue, parallèle, met également en scène le comte de Gloucester (Paul Savoie) et ses deux fils, dont l'un d'eux (Edmond, interprété par David Boutin) complotera contre lui et son frère Edgar, condamné à la mendicité.

La folie est souvent feinte dans les pièces de Shakespeare. Comment expliquer celle de Lear? «C'est la douleur qui rend Lear fou, estime Gilles Renaud. C'est lorsqu'il pleure qu'il perd la raison. C'est un homme qui n'a jamais pleuré. L'ingratitude de ses filles le rend fou. Et puis, à un moment donné, la folie prend le dessus. Lear est un personnage complexe. Ce qui m'a frappé à la lecture de la pièce, c'est la vitesse du processus de destruction du personnage.»

C'est la toute première fois que Marleau et Renaud travaillent ensemble. «On s'entend à merveille, dit Gilles Renaud. On a la même vision du personnage de Lear. Celui d'un homme de pouvoir, qui n'a jamais été contesté, qui était le maître. Du jour au lendemain, par sa faute, il devient personne. Il n'est plus rien. C'est ça qu'il faut jouer. Le comte de Kent lui dit d'ailleurs: «L'escargot ne donne pas sa carapace à ses enfants.» Il se dit qu'il va passer de roi à père, mais il réalise que ses filles ne l'aiment pas. C'est ça aussi son drame.»