Après avoir écrit et mis en scène sa pièce Une partie avec l'empereur, Stéphane Brulotte renoue avec Duceppe pour présenter À l'ombre d'Hemingway, qui nous plonge dans la vie et l'oeuvre du bouillant écrivain américain que défendra Michel Dumont.

C'est à l'occasion d'un voyage à La Havane, où il menait des recherches sur Che Guevara, que Stéphane Brulotte s'est intéressé à la vie et à l'oeuvre d'Ernest Hemingway.

«Soderbergh venait de sortir ses deux films sur le Che qui étaient très bons, donc je songeais déjà à abandonner le projet. Mais sur place, j'étais étonné de voir à quel point Hemingway était partout présent. Sa maison, sa statue, les bars qu'il a fréquentés, il suscite encore beaucoup d'intérêt», raconte Stéphane Brulotte.

Fait intéressant, note l'auteur, pendant la révolution cubaine, la lecture de chevet de Fidel Castro et de Che Guevara était Pour qui sonne le glas, d'Hemingway, qui traite de la guerre civile en Espagne, «une véritable radiographie de la guérilla», dit-il.

Dès son retour, Stéphane Brulotte s'est mis à dévorer à peu près tout ce qu'avait écrit Hemingway. Un exercice qu'il a mené pendant plus de deux ans. «J'étais fasciné par ce personnage qui écrivait autant sa vie que son oeuvre. Le terme d'autofiction n'existait pas encore, mais il était certainement un des premiers auteurs à en faire.»

À mesure qu'il parcourait l'oeuvre du romancier américain, il a découvert un espace de création, qui lui a inspiré l'écriture d'À l'ombre d'Hemingway.

L'écrivain américain venait de faire paraître son roman Au-delà des fleuves et sous les arbres, qui avait alors été démoli par la critique. Une panne d'écriture a suivi. Dans ce roman, Hemingway évoquait la rencontre d'une jeune Vénitienne de 19 ans, Adriana, pour qui manifestement l'auteur avait un penchant.

Cette jeune femme a véritablement existé. Et Hemingway l'a même invitée chez lui, à Cuba, en 1950.

Adriana a vécu trois mois avec Hemingway et sa quatrième femme Mary. Elle était accompagnée de sa mère, qui la «chaperonnait». Un grand mystère entoure cette étrange visite. Mais après plusieurs mois, l'auteur accoucha de son dernier roman: Le vieil homme et la mer, couronné du prix Nobel et du Pulitzer. En 1961, comme on le sait, il s'est enlevé la vie.

Stéphane Brulotte s'est mis à imaginer ce qui aurait bien pu se passer dans cette maison durant le séjour d'Adriana (interprétée par Bénédicte Décary). Et l'effet qu'elle a eu sur l'inspiration de l'auteur. Son interprétation des événements relève de la pure fiction, mais s'appuie sur le personnage qu'était Hemingway. «Un auteur qui était loin d'être reclus, note l'auteur. Un homme d'action plutôt, à la fois macho et romantique.»

Au début de l'écriture de sa pièce, Stéphane Brulotte a eu vent d'un projet de film qui s'intéressait à cette même histoire. Scénarisée par nul autre que Gabriel Garcia Marquez! Découragé, il a quand même poursuivi son travail. À la fin, le projet de film a avorté. «Je me suis dit que si Marquez avait eu la même idée que moi, je devais avoir un bon instinct...», dit-il en riant.

Ce monstre de la littérature sera interprété par Michel Dumont. Le directeur artistique de chez Duceppe s'est intéressé à la pièce de Stéphane Brulotte dès le début du projet. Après en avoir lu des extraits, il a proposé à l'auteur de présenter sa pièce chez Duceppe. Il n'était pas encore question pour lui d'interpréter le rôle principal.

C'est au cours d'une lecture de la pièce en présence du petit-fils d'Ernest Hemingway, John, que son sort a été jeté. Michel Dumont raconte: «Quand il m'a vu, il a dit à Brulotte: «Gosh, that's him!» C'est vrai que j'ai probablement le physique de l'emploi. Mais nous sommes tellement différents...» soupire-t-il.

À une semaine de la première, l'acteur Dumont en est à peaufiner la composition de son personnage. «Écoutez, c'était un homme suicidaire, colérique, qui buvait beaucoup et que Brulotte met en scène dans un moment de grande vulnérabilité. Il est faible, vieux, impuissant, hanté par la mort, démoli par la critique. Le mythe d'Hemingway est fort, mais Brulotte lui a donné des pieds d'argile.»

Lui aussi s'est mis à relire des pans de la vie d'Hemingway. «C'était un auteur qui disait toujours qu'il fallait «écrire vrai», poursuit Michel Dumont. Mais pour ce faire, l'écrivain devient un vampire, qui extirpe des autres et des événements sa substance. C'est ce qui se passe d'ailleurs avec Adriana, qui s'est plus tard suicidée. Il sent la mort, mais il la désire en même temps. Toute sa vie a été comme ça.»

Pour créer la structure de sa pièce, Stéphane Brulotte avoue s'être inspiré du Vieil homme et la mer. «Il y a plein de clins d'oeil à ce roman, qu'il a écrit à la fin de sa vie. Par exemple, dans le livre, on dit qu'il n'a pas pêché depuis 84 jours. Moi, je commence la pièce en disant qu'il n'a pas écrit depuis 84 jours. Autre exemple: le poisson qu'il ramène, mais qui se fait bouffer par les requins. Pour moi, il symbolise l'amour, qu'il a été incapable de trouver...»

Chez Duceppe du 26 octobre au 3 décembre.