Monique Miller a tout joué, des reines et des putains, des amoureuses et des désespérées. Or, après 60 ans de carrière, elle aborde chaque nouveau rôle comme si c'était la première fois. Cette semaine, elle se lance dans une nouvelle aventure: elle danse pour le chorégraphe Sylvain Émard.

Monique Miller vit dans une boîte à souvenirs. Sa tête est pleine de noms, de titres, de dates, d'anecdotes. Sa maison ressemble à un musée d'archives de la télévision et du théâtre québécois. Chaque coin de son appartement est tapissé de photos de productions; d'affiches de films ou de pièces. Il y a un mur consacré aux acteurs disparus: Denise Pelletier, Jean Besré, Luce Guilbeault, Jean Duceppe... Un autre au cinéaste Claude Jutra.

Monique Miller retient tout. Absolument tout! Dans le milieu, on l'appelle «l'encyclopédie». Des collègues la consultent quand leur mémoire flanche, pour qu'elle leur donne le nom de cet «acteur qui a remplacé un tel dans la reprise de telle pièce».

Lorsque Monique Miller est allée voir l'exposition du photographe André Le Coz, dans le cadre des 60 ans du Théâtre du Nouveau Monde, elle a remarqué une production manquante... «Il n'y avait pas de photo de Pygmalion!» dit-elle avec des yeux ahuris, comme si le sort de l'humanité en dépendait. «J'ai donc offert à Lorraine (Pintal) une photo que j'avais chez moi.» Cette photo de la comédienne avec Jean-Louis Roux dans Pygmalion est désormais affichée à l'entrée de la salle de répétition du TNM. Juste retour des choses pour cette actrice qui a répété des milliers de textes.

L'influence de madame Audet

Et pourtant, rien ne la prédisposait aux feux de la rampe. Monique Miller est née en 1933 dans une famille ouvrière du quartier Rosemont. Son père était électricien (il s'appelait tout de même Arthur Miller!). Il a eu cinq enfants avec sa femme Noëlla (dont la comédienne Louise Rémy, qui habite depuis 30 ans en bas de chez Monique Miller, dans NDG).

La piqûre pour le métier est arrivée tôt, à 11 ans, en suivant les cours de Mme Audet, professeur de diction et de phonétique. «J'avais lu dans La Presse que Ginette Letondal, qui jouait déjà à la radio, étudiait chez Mme Audet. J'ai convaincu mes parents que je pouvais faire ça.»

Mme Audet va carrément allumer la flamme de cette passion naissante. «Elle a été plus qu'un professeur de théâtre: un mentor, une deuxième mère. Plus tard, j'ai même habité chez elle. Ce qui me permettait d'aller auditionner pour la radio, entre les cours, durant la semaine.»

Monique Miller n'a pas 20 ans quand le succès arrive avec Tit-Coq, le film tiré de la pièce de Gratien Gélinas; et aussi Zone de Marcel Dubé. Parallèlement, la comédienne travaille avec le TNM. Elle y rencontre son premier mari, François Gascon, le frère de Jean Gascon, avec qui elle a eu un fils. Puis, il y aura les téléromans (Cap au sorcier, Septième Nord), et les beaux jours des téléthéâtres à Radio-Canada.

Jeunesse d'aujourd'hui

Mais le passé ne jette pas son ombre sur le présent de Monique Miller, qui a toujours gardé contact avec la jeunesse. Peu importe les époques. À la fin des années 70, elle participe à la création des premières comédies de Claude Meunier et Louis Saïa.

Au milieu des années 80, elle assiste à une pièce montée par un metteur en scène de 25 ans, Serge Denoncourt. Après la représentation, elle va le saluer dans les coulisses en lui disant: «N'importe quand, je suis disponible...»

«Monique Miller est la plus jeune actrice que je connaisse», estime, 25 ans plus tard, Denoncourt, qui l'a dirigée à une quinzaine de reprises, de Vu du pont à La Cerisaie, en passant par Décadence (qui lui a valu le Masque de la meilleure actrice en 1997). «Elle se réinvente sans cesse, et elle n'a peur de rien. Je peux lui demander n'importe quoi, si c'est pour le bien de la pièce, elle va l'essayer.»

Cette semaine, l'interprète de 77 ans se lance dans une nouvelle aventure: elle danse pour le chorégraphe Sylvain Émard. Ce dernier lui a offert un solo de 16 minutes dans sa création présentée à la Cinquième Salle, avant d'entamer une tournée canadienne et européenne. «Il n'y a pas d'âge dans ce métier, croit Miller. Chaque nouveau rôle, chaque nouveau défi, c'est toujours la première fois.»

La découverte du trac

«Par exemple, si je suis avec Sophie Desmarais dans une loge, on a le même âge! Parce qu'on fait la même chose, qu'on est dans le même bateau. À 17 ans, quand j'ai joué pour la première fois sur les planches dans L'avare, j'ignorais le trac... Or j'ai vu Denise Pelletier et Janine Sutto dans un état de panique incroyable dans la loge du TNM. Et là, j'ai compris ce que c'était, le trac...»

Pour une Monique Miller ou une Andrée Lachapelle, combien de Dyne Mousso, Muriel Guilbault, Ginette Letondal et autres grandes actrices qui ont disparu prématurément. Hélas, le génie et le talent ne suffisent pas toujours dans ce métier. «J'ai la chance d'être une gourmande de la vie. C'est probablement dû à l'amour de mes parents. Ils m'ont toujours appuyée, accompagnée et encouragée dans mes choix.»

Dès l'adolescence, la comédienne a appris l'éthique du travail. «Pour moi, il n'y a pas de mystère pour réussir dans ce métier: il faut travailler. Je n'admets pas la paresse. J'en suis parfois fatigante en répétition. Je croise des jeunes acteurs qui sortent des écoles et qui ne savent pas respirer; alors que c'est la base! Mme Audet m'en a fait réciter des fables de La Fontaine pour travailler ma respiration.»

La dame brune a connu plusieurs relations amoureuses avec des personnalités du milieu culturel. «Quand je tournais dans Saints-Martyrs-des-damnés, Robin Aubert s'amusait à me faire la liste de mes amoureux connus. Il les nommait tous! Pour le faire taire, je lui disais que je pouvais nommer toutes les femmes avec qui il a eu des aventures... J'en connais quelques-unes!», lance-t-elle en éclatant de rire.

Véritable dynamo qui parle sans arrêt, de tous les sujets, Monique Miller se referme comme une huître lorsque vient le temps de faire des confidences sur ses amours. «Je ne trouve pas ça intéressant, parler de moi. J'aime mieux me souvenir des créations que j'ai faites, des artistes que j'ai connus, des spectacles que j'ai vus. C'est bien plus intéressant que ma vie.»

«Curieusement, Monique n'a pas vraiment d'ego, explique Serge Denonourt. Sa carrière passe au premier plan. Elle se sert des choses qu'elle a vécues dans sa vie privée pour devenir une meilleure actrice. Cette passion dévore tout le reste.»

Pour Monique Miller, le monde est et sera toujours un théâtre.

Fragments - Volume I, de Sylvain Émard, à la Cinquième Salle de la PDA, du 18 au 29 octobre.