Dans les coulisses du festival Montréal en lumière, le nom de Brigitte Poupart résonne comme un mantra. Et pour cause. C'est elle qui a mis en scène le spectacle d'Alex Nevsky et l'hommage à la Bolduc. Elle, encore, qui signera le spectacle de clôture The Man I Love avec Natalie Choquette et Florence K. Et comme si cela ne suffisait pas, Poupart a conçu la soirée hommage pour les 25 ans du Déclin de l'empire américain, tout en terminant le montage de son premier film, Over My Dead Body.

Au milieu des années 80, Brigitte Poupart était une étudiante parmi tant d'autres. Inscrite en sciences sociales avec maths et bio au cégep de Saint-Laurent, elle se destinait au droit international. Elle n'avait jamais joué sur une scène de sa vie, ne connaissait pas grand-chose au théâtre et préférait de loin la musique. Mais elle avait une bonne amie du nom de Macha Limonchik qui faisait pression sur elle pour qu'elle se joigne à la troupe de théâtre du cégep.

Macha a si bien fait que Brigitte l'a suivie et s'est mise à faire du théâtre. À la fin du cégep, elle avait la piqûre. Pas au point d'abandonner le droit international, mais au point de se présenter aux auditions du Conservatoire d'art dramatique de Montréal.

Lorsque Brigitte Poupart a annoncé à sa mère, Claudette Dansereau, qu'elle avait été acceptée dès sa première audition, maman n'a pas fait la moue, ni soupiré d'un air découragé. Tout le contraire. «Avec le droit international, tu pourras toujours te reprendre, mais une place au Conservatoire, ça ne passe qu'une fois dans une vie. Vas-y, fonce, ma fille», lui a-t-elle dit.

Son père, Fernand Poupart, musicien, militant et grand ami de l'avocat des felquistes Robert Lemieux, fut tout aussi encourageant. Quelques années plus tard, quand le spectacle Nudité, dans lequel sa fille se promenait nue comme un ver, fut interrompu par l'Escouade de la moralité puis frappé d'un interdit, Fernand appela sa fille. Pour la féliciter!

Ces deux anecdotes pour rendre compte du climat d'ouverture et de liberté dans lequel Brigitte Poupart a grandi et qui a permis à l'ADN de la création qu'elle croit avoir de naissance de fleurir et de s'épanouir.

Organisation, énergie et passion

Nous nous rencontrons dans un café du Mile End, pas très loin d'où Poupart habite avec ses deux filles, de 13 et 18 ans. Le fait que cette actrice, créatrice, idéatrice, danseuse, monteuse, et metteure en scène d'à peine 40 ans ait deux enfants me scie en deux. Pas parce que je doute de l'instinct maternel de Brigitte Poupart. Plutôt parce qu'elle travaille tellement et sur tellement de projets différents à la fois, que j'étais convaincue qu'elle était célibataire, sans enfants, sans animaux et sans plantes vertes.

Mais non. Même si une journée n'a que 24 heures, Brigitte Poupart réussit à se démultiplier sans pour autant que sa création ou que sa progéniture en souffre. «Enfin, disons que ça prend de l'organisation, de l'énergie et de la passion et que tout cela est très gérable parce que j'y prends beaucoup de plaisir. Pour le reste, on s'arrange.»

Diplômée du Conservatoire d'art dramatique de 1990, Brigitte Poupart fait partie de ce qu'on a appelé la génération X, une génération perdue, née dans l'ombre des boomers, abonnée au système D et qui a eu toute la difficulté du monde à faire sa place au soleil. «Quand je suis sortie du Conservatoire, il n'y avait tellement pas de jobs pour nous qu'on a été obligés de s'en inventer. Les trois troupes créées à ce moment-là, Pigeons International, Momentum et ma compagnie, Transthéâtre, ont aujourd'hui 20 ans. Or, nous ne sommes toujours pas invités à nous produire dans les grands théâtres, qui sont encore et toujours occupés par la génération d'avant nous. Ça me fait tripper de concevoir une mise en scène au Métropolis pour les 2000 fans de Misteur Valaire, mais je tripperais autant à monter un show au TNM. Sauf qu'on ne me le demande jamais. Ni à moi ni à ma gang.»

Mari virtuel

Quand Brigitte Poupart parle de sa gang, elle pourrait aussi bien indiquer le fleuve Saint-Laurent tant sa gang est vaste et diversifiée. Il y a les Zapartistes dont elle fait partie à temps plein depuis le départ de Geneviève Rochette il y a six ans. Et puis, il y a le chorégraphe Dave St-Pierre, qu'elle qualifie de mari virtuel. Les deux se sont rencontrés en 2004. Poupart venait de créer Cérémonials, une variation allégorique sur la perte des rituels religieux. St-Pierre créait pour sa part le spectacle culte La pornographie des âmes. Les deux ont ressenti l'un pour l'autre un réel coup de foudre artistique. Ils sont devenus amis, puis collaborateurs.

Pendant l'année complète où le chorégraphe atteint de fibrose kystique a attendu un donneur pour une greffe du poumon, Brigitte Poupart l'a suivi avec une caméra. Elle l'a filmé dans son quotidien, dans l'agonie de l'attente, à mesure que sa santé dépérissait et que son souffle vacillait comme une flamme fragile. Le film, dont le montage n'est pas terminé, s'intitulera Over my Dead Body et sortira en salle probablement à l'automne.

«C'est terrible d'attendre un coup de téléphone qui va déterminer si tu vis ou si tu meurs, raconte Poupart. Heureusement, c'est un film qui se termine bien puisque la greffe a marché, mais des fois, je me demande ce que j'aurais fait si le contraire était arrivé. Me semble que j'aurais été incapable de poursuivre le film.»

En attendant, Poupart dansera pour Dave St-Pierre dans Un peu de tendresse bordel de merde!, qui sera présenté en mars et en avril en Belgique, en Allemagne et en Espagne. Elle héritera du rôle de Sabrina, celle qui notamment se masturbe dans un gâteau sur scène. «Est-ce que ça me gêne? demande-t-elle en souriant. Pas du tout. C'est un rôle merveilleux, de grande complicité avec le public. Et puis j'en ai vu d'autres. Je me suis déjà rentré un godemichet dans le vagin sur scène. C'est d'ailleurs le point de départ du duo que je monte avec Dave pour le FTA et dont le titre est en fait une question: What's Next? Qu'est-ce qu'on fait maintenant?»

Un oeil extérieur et allumé

Brigitte Poupart n'a pas encore de réponse à cette question à un million. Il faut dire qu'elle est passablement occupée ailleurs, notamment à la mise en scène de trois spectacles présentés à Montréal en lumière ainsi qu'à la soirée hommage célébrant les 25 ans du Déclin de l'empire américain qui aura lieu le 22 février. Pour le Déclin, elle ne peut dire grand-chose, sinon que la soirée sera placée sous le signe de la mémoire, avec beaucoup d'humour, d'émotion et quelques surprises. Quant à son implication récente dans le monde de la musique auprès d'artistes comme Béatrice Bonifassi, Yann Perreau, Misteur Valaire, Florence K et Alex Nevsky, Poupart se voit comme un oeil extérieur et allumé.

«Chaque fois que je travaille avec un nouvel artiste, je lui fais remplir un questionnaire où je lui demande ce qu'il veut dégager sur scène, avec quoi il veut que le spectateur reparte, comment il se perçoit, etc. Bref, je le fais travailler, préciser, définir sa démarche et à partir de ça, on construit quelque chose. Après un spectacle, quand je vois les spectateurs repartir avec un sourire, quand je sens qu'on les a aidés à oublier leurs problèmes pendant quelques heures, je considère que ma job est faite.»

Qu'elle soit en train de danser nue sur scène, d'interpréter une prof dans Bashir Lazhar, le film de Philippe Falardeau, de déterminer les enchaînements musicaux d'un spectacle de Florence K et de Natalie Choquette ou de pourfendre Jean Charest dans un sktech des Zapartistes, Brigitte Poupart s'exécute toujours avec plaisir et passion. Même si les 20 dernières années n'ont pas toujours été riches et prospères, elle ne regrette rien. Surtout pas le droit international.