Créée en Russie en janvier dernier dans la foulée du 150e anniversaire de naissance d'Anton Tchekhov, Donka, une lettre à Tchekhov, de Daniele Finzi Pasca, atterrit à Montréal avec ses huit acteurs-acrobates qui nous racontent le dramaturge russe en images.

Rien ne prédestinait l'attachant acteur et directeur artistique suisse-italien -qui nous a présenté son magnifique spectacle solo Icaro en mars dernier - à se frotter au plus célèbre des dramaturges russes.

Celui qui se définit d'abord comme un clown - dans le sens artistique, bien sûr - est en effet bien plus proche des univers fantastiques latino-américains que de la «froide dissection de l'âme» révélée par le Russe à travers son oeuvre. Le portrait à la fois poétique et ludique qu'il fait de Tchekhov a d'ailleurs eu beaucoup de succès en Russie, où la pièce a été présentée pendant trois mois.

«L'éditeur de Tchekhov (Boris Souvarine) disait qu'il aimait les clowns et les cimetières, commence par nous dire Finzi Pasca, qui s'est fait connaître ici grâce à son travail avec le Cirque Éloize (Nomade, Rain, Nebbia). Alors j'ai imaginé une troupe de clowns qui lui rend hommage!»

C'est à l'invitation de Valery Chadrine, directeur du Festival Tchekhov en Russie, que Daniele Finzi Pasca a monté ce spectacle. De l'auteur russe, il avait vu des pièces produites par le Piccolo Teatro de Milan (où Donka a été jouée cette année), mais il avoue candidement ne pas être un spécialiste.

«J'ai cherché à le connaître et à comprendre l'esprit russe, nous dit-il. Avec toute sa nostalgie, qui est vraiment l'exaltation du moment présent plutôt qu'un regard vers le passé. Mais surtout avec les yeux de Tchekhov, qui était aussi médecin et fin observateur de la société russe.

«Tchekhov pratiquait la médecine à une époque où il n'y avait pas beaucoup d'instruments pour ausculter le corps, pour le comprendre, poursuit Finzi Pasca. Il fallait donc vraiment bien observer le patient. Je trouve que son écriture est un peu comme ça. Il n'y a rien de magique, d'exubérant ou d'extraordinaire, c'est une decription précise d'un groupe de patients.»

Sa mission: faire ressortir le côté tragicomique de Tchekhov, qui a souvent qualifié ses pièces de comédies, un débat épique qui revenait régulièrement avec son metteur en scène Stanislavski, qui les montaient comme des drames. Son point de départ? Sa ville natale de Lugano.

«Il y a 150 ans, le baron russe Von Derwies, ami du tsar Alexandre II, a construit un château à Lugano (décrit par Tchekhov), avec un parc et une salle de concert, où jouaient des troupes et des orchestres russes. C'était un village de pêcheurs où il n'y avait rien, et il a créé une immense vie culturelle, nous dit Daniele Finzi Pasca. Dans les années 60, le château a été transformé en école, où j'ai étudié au secondaire, où j'ai pris des cours de théâtre, et où j'ai donné mon premier spectacle. Tout ça pour dire que mes amis et moi avons commencé là où de grands acteurs et musiciens russes ont joué. C'est pour ça que je dis que j'ai trouvé Tchekhov dans mon jardin. Je suis parti de là.»

Lettres à un ami

Donka, une lettre à Tchekhov est donc un spectacle poétique fait de tableaux vivants où les acteurs sont tantôt acrobates, tantôt danseurs et musiciens. «Ce sont des images qui se superposent comme dans un rêve, et où j'ai imaginé, à travers des dialogues, que j'écrivais des lettres à un ami.»

Dans son délire poétique, Finzi Pasca a voulu montrer que les personnages de Tchekhov se fendent, se brisent. Où tout à coup quelque chose d'ennuyant devient dramatique. «Nous avons construit des éléments du décor en glace, qui se mettent à fondre avec le temps, pour renforcer ce sentiment de prêt-à-briser.

«Il y a des dialogues avec le public, précise Finzi Pasca, qui a produit ce spectacle avec sa femme Julie Hamelin (cofondatrice d'Éloize); ceux qui connaissent Tchekhov reconnaîtront son univers, ses personnages, sa femme Olga; dans ses Cahiers, j'ai même retrouvé des croquis, des amorces d'histoires, des récits de voyages, etc. J'ai puisé là-dedans. C'est quelqu'un qui aimait beaucoup pêcher. D'où le mot donka, qui désigne la petite clochette qu'on fait sonner lorsqu'on le poisson mord à l'hameçon.»

Mais alors, que contient cette fameuse lettre qui lui est adressée?

«Dans cette lettre, je lui dis trois choses, explique Daniele Finzi Pasca: d'abord qu'il est comme un arbre immense qui a fait germer des plantes et toute une végétation qui lui sont affiliés; l'idée aussi que la recherche d'une idée, comme la pêche, n'est pas une perte de temps, mais un travail honnête qui peut prendre du temps et de la persévérance. Enfin, je voulais souligner sa rigueur. C'est quelqu'un qui a voyagé pendant neuf mois, alors qu'il souffrait de tuberculose, pour aller voir le pénitencier de Sakhaline et témoigner de ce qui s'y passait. Ce n'est pas quelqu'un qui parlait de choses qu'il ne connaissaient pas.»

Donka, une lettre à Tchekhov, du 2 au 18 décembre à l'Usine C.