Décrocher un emploi n'est jamais facile, ici comme ailleurs. Des artisans venus d'Europe, du continent africain et du Québec se réunissent autour du metteur en scène Khalid Tamer pour évoquer les drames qui se jouent derrière les sourires de circonstance.

Graines de soleil s'est souvent fait accoler l'étiquette «théâtre engagé». Khalid Tamer, qui a fondé la compagnie à Paris il y a 20 ans, reconnaît d'emblée que son travail comporte des dimensions sociales et politiques. Brecht, dit-il, est l'un de ses mentors. Avec Chaplin, créateur qui fascinait Brecht lui-même.

Établi en France, mais originaire du Maroc, ce metteur en scène aussi très influencé par la vision du théâtre défendue par Peter Brook a d'abord une formation de danseur. «Ce qui m'intéresse, au-delà de la danse, c'est le mouvement. Le corps dans l'espace. Le corps comme expression», précise celui qui a notamment étudié les arts scéniques japonais - butô, nô et kabuki.

Son théâtre, par conséquent, est d'abord physique. Profils atypiques, la première de ses créations à être jouée au Québec, ne dérogera pas à cette ligne directrice. Écrite par des auteurs venus de France (Nadège Prugnard), d'Afrique (Koffi Kwahulé) et d'ici (Louis-Dominique Lavigne) et jouée par des comédiens issus d'autant de cultures, la pièce interroge notre relation au travail.

L'impulsion de départ vient de Khalid Tamer lui-même. Il y a quelques années, alors qu'il cherchait des comédiens pour monter un spectacle, le metteur en scène s'est retrouvé devant une pile de curriculum vitae. «J'ai soudain constaté le pouvoir que j'avais entre mes mains et la misère de ceux qui cherchaient à se vendre pour décrocher un rôle», se rappelle-t-il.

La situation a visiblement suscité un malaise, puisque Profils atypiques s'intéresse à la fois à ceux qui cherchent un boulot et à ceux qui ont le pouvoir de les embaucher... ou pas. La pièce interroge ainsi cette lutte de pouvoir qui se joue au quotidien, ainsi que les abus, les atteintes à la dignité et les frustrations qu'elle engendre.

Plutôt que de traiter de ce sujet pour le moins concret d'une manière réaliste, les auteurs ont opté pour une approche poétique. «On ne pouvait pas approcher un sujet comme celui-là de manière frontale, croit Khalid Tamer. Ce qui m'intéressait, c'était de poétiser ce sujet-là. De le mettre à distance.» De s'inspirer de Brecht, dans une certaine mesure.

Poésie dans le texte, donc, mais aussi dans le corps. Les acteurs ne joueront pas les personnages au sens psychologique du terme, mais les incarneront physiquement. De manière «presque déshumanisée», révèle le metteur en scène. «Notre rapport au travail est déshumanisé, justifie-t-il. On vit dans des sociétés où on n'est rien si on n'a pas de travail.»

Khalid Tamer, lui, s'interroge tout haut sur la société qu'on fabrique actuellement. Sur sa manière de tout traduire en termes économiques. Sur la place faite à l'être humain - unique et donc atypique par essence - dans une économie mondialisée où, qu'on vive à Dakar ou en banlieue de Montréal, le défi est le même. Travailler pour vivre ou vivre pour travailler? C'est la question...

Profils atypiques, du 19 au 30 octobre, dans la salle intime du théâtre Prospero.