Grégoire Callies dirige le TJP depuis plus de 10 ans avec toujours le même souci d'intéresser... les adultes. «Je veux que les parents soient aussi touchés que les enfants, explique-t-il. Ce que j'espère toujours, c'est qu'ils en parlent avec leurs enfants le soir en mangeant du saucisson. Si le parent s'est ennuyé, il n'y aura pas de suite.»

L'auteur de La petite Odyssée ne manque pas d'ambition. Sa pièce de 55 minutes commence au Moyen Âge et se termine quatre siècles plus tard. Le résumé de la pièce peut surprendre. «Une jeune orpheline, Odyssée, entreprend avec son ami Bernie la traversée des siècles en suivant l'évolution des idées, de l'art, de la musique, croisant sur son passage Léonard de Vinci, Montaigne, Diderot, Rousseau, Beaumarchais, Delacroix...»

Est-ce bien d'une pièce pour enfants dont il s'agit? Car, fais-je remarquer à Grégoire Callies, par chez nous, Montaigne, Rousseau, Diderot... ce n'est qu'au cégep (et encore...) que nous faisons leur connaissance. À 7 ou 8 ans, les références littéraires ou musicales de nos enfants peuvent être variées, mais elles incluent rarement les artistes et les penseurs du XVIIIe siècle...

«Bien sûr, c'est pareil en France. Mais je refuse d'imaginer ce que mon enfant de 7 ans a dans la tête, nous dit Grégoire Callies. Je ne sais pas tout ce qu'il peut attraper. Je ne trie pas la musique pour lui, je ne trie par les expos que je vois avec lui. Comme je refuse de croire qu'il y a un vocabulaire particulier pour les enfants et pour les adultes.»

Callies convient que les enfants ne retiennent pas nécessairement le nom des personnages ni où ils se situent exactement dans le continuum de l'histoire. Mais le plus important, selon lui, c'est qu'ils comprennent le sens de ce qui se joue. Après plus de 150 représentations, en France et en Espagne, il est catégorique: «Les enfants pigent.»

Avec le marionnettiste chinois Yeung Faï, Grégoire Callies entreprend donc de nous raconter l'histoire de cette jeune Odyssée, qui doit d'abord faire un choix: ou bien elle épouse l'aubergiste de son village et suit son destin (tracé d'avance), ou elle se déguise en garçon et prend la route, à la manière de Jeanne d'Arc. C'est évidemment ce dernier scénario qu'elle choisira.

Durant leur périple à travers les siècles, Odyssée et Bernie cherchent d'abord à se nourrir et à se loger. C'est, pour ainsi dire, leur principale préoccupation. Puis, en cours de route, ils apprennent à lire, à écrire. Petit à petit, au détour des personnes qu'ils croisent, ils réalisent qu'ils doivent acquérir quelques connaissances pour survivre.

«La rencontre de Montaigne et d'Henri IV à Paris, en pleine guerre de religion, c'est pour moi un prétexte pour parler de tolérance. Quand Odyssée et Bernie croisent Diderot et Rousseau, ils se font dire: ce n'est pas nécessaire d'apprendre, tenez-vous à distance... Mais ils leur répondent: nous ne voulons pas! À l'époque, c'est Voltaire qui disait: le jour où le peuple saura lire et écrire, on aura des problèmes.»

En fin de compte, nous dit Grégoire Callies, si la pièce peut donner envie aux enfants d'ouvrir un bouquin de Delacroix, de feuilleter un livre de Léonard de Vinci, ce sera gagné. «Ce que je dis, c'est: éteignez vos ordinateurs, laissez de côté vos amis Facebook. N'acceptez pas le superficiel qui nous entoure. Je veux donner des armes aux enfants. Par la connaissance, l'esprit critique, le libre arbitre.»

La petite Odyssée, du TJP de Strasbourg. À la Maison Théâtre du 4 au 15 novembre, puis à Québec, du 16 au 29 novembre, et Alma, du 30 novembre au 4 décembre. Pour les enfants de 7 à 12 ans.