La saison théâtrale qui débute sera marquée par plusieurs reprises. À l'instar d'Espace libre (Sauce brune, de Simon Boudreault) et bientôt de Duceppe (À présent, de Catherine-Anne Toupin), le Quat'Sous a lui aussi choisi d'amorcer l'automne en offrant une reprise: Le grand cahier, créé en 2009 dans la salle intime du Théâtre Prospero.

Ce n'est pas la première fois que le célèbre roman d'Agota Kristof est adapté pour la scène. Il y a 20 ans, le Théâtre de la Nouvelle lune avait proposé coup sur coup des versions scéniques du Grand cahier et de La preuve à la salle Fred-Barry. Il s'agissait de transpositions assez littérales des deux romans dans des spectacles de trois heures ou plus.

Catherine Vidal, qui dirige l'adaptation actuelle, a emprunté un chemin radicalement différent. Son spectacle dure moins de 90 minutes, ne met en scène que deux acteurs (Renaud Lacelle-Bourdon et Olivier Morin), mise sur une utilisation judicieuse d'une foule d'objets et un jeu distancié. Des choix avisés et heureux.

Pour ceux qui ont terminé leur secondaire depuis plus de 20 ans (les autres l'ont probablement lu à l'école), rappelons que ce roman dur et cru, qui se déroule sur fond de guerre, raconte le parcours de deux jeunes garçons abandonnés à une grand-mère du genre marâtre. Les jumeaux établissent que, pour s'en tirer, ils doivent se constituer une carapace. Ils se livrent donc à des exercices cruels destinés à les rendre insensibles à la douleur, aux insultes et à toute forme d'affection.

Tandem soudé et parfaitement équilibré, Renaud Lacelle-Bourdon et Olivier Morin interprètent bien sûr les deux jumeaux trop mûrs et trop durs pour leur âge, qui posent sur le monde un regard pragmatique, pour ne pas dire froid. Mais à eux deux, ils campent également une demi-douzaine d'autres personnages (le curé, sa servante lubrique et l'inénarrable Bec-de-lièvre, notamment) ce qui donne lieu à des compositions réussies et parfois franchement drôles. On a beaucoup de plaisir à les voir multiplier les prouesses physiques et les changements de tonalité.

Les acteurs évoluent dans un décor tout simple: un mur noir, un drôle de bricolage en carton qui représente le plan de la maison et un tas d'accessoires vieillots exploités avec beaucoup d'imagination et d'à-propos. L'intelligence de la mise en scène de Catherine Vidal tient d'ailleurs à sa façon d'exploiter ses matériaux de base que sont les accessoires et les comédiens pour raconter (souvent face au public) et, surtout, évoquer la trame du Grand cahier.

Si le roman d'Agota Kristof dit beaucoup, et crûment, la metteure en scène se garde bien d'en faire autant et de tout montrer. Plutôt que de donner à voir, elle suggère. Elle donne à entendre (une scène se déroule dans le noir complet, d'ailleurs). Mieux, elle sollicite constamment l'imagination du spectateur. Ce qui est un plaisir rare.

Catherine Vidal dirige une pièce chilienne intitulée Amuleto, en novembre, au même Quat'Sous. On ira.

Le grand cahier, jusqu'au 18 septembre au Théâtre de Quat' Sous.