Il sera sur toutes les scènes cette année, à commencer par celle du Quat'Sous, où Olivier Morin et lui incarnent les jumeaux terribles du Grand cahier d'Agota Kristof. Rencontre avec le comédien Renaud Lacelle-Bourdon.

«L'acteur est un athlète du coeur.» La phrase d'Antonin Artaud a longtemps accompagné Renaud Lacelle-Bourdon. «Donner son âme et son corps pour servir une histoire, je trouve ça très beau, très noble», dit-il.

Cet automne, parions que l'acteur de 33 ans devra aussi être athlète tout court. Après Le grand cahier d'Agota Kristof, qu'il reprend en duo avec Olivier Morin dès lundi au Théâtre de Quat'Sous, il incarnera mendiant et brigand dans L'opéra de Quat'Sous au Théâtre du Nouveau Monde.

En novembre, il sera d'Amuleto, adaptation du roman du Chilien Roberto Bolaño, avant de partir en tournée avec Un peu de tendresse bordel de merde et La pornographie des âmes, du chorégraphe Dave St-Pierre.

À l'hiver, il enchaîne avec une tournée du spectacle jeunesse Le grand voyage de petit Rocher et des représentations de la création Les mutants, à l'Espace Go. En avril, on le verra au Théâtre d'Aujourd'hui dans La genèse de la rage, de Sébastien Dodge...

Nous l'avons arraché à l'effervescence des dernières répétitions du Grand cahier. D'une grande gentillesse, prévenant, concentré, il n'est pas du genre à étaler spontanément sa vie privée. Mais à voir les deux pages remplies de minuscules notes qu'il apporte en entrevue, on devine que Renaud Lacelle-Bourdon fait les choses sérieusement. Rigueur, précision et beaucoup de travail.

Qu'est-ce qui l'anime?

«Les défis n'arrêtent pas de se proposer à moi. Et moi aussi, des fois, je les crée. Si je vois un texte qui me plaît, je vais créer l'équipe ou parler à des gens pour essayer de faire avancer quelque chose. Il faut se donner aussi la chance de faire nos projets.»

Né à Ottawa en 1977, il fait partie de cette jeune génération d'acteurs qui n'attendent pas que les offres affluent pour créer et monter sur scène. En 2001, sa classe de finissants du Conservatoire s'est transformée en troupe, le théâtre de la Banquette arrière. Elle est toujours bien vivante puisqu'elle présentera en janvier Les mutants, d'après une idée de Sylvain Bélanger et de Sophie Cadieux. À l'invitation de la jeune metteuse en scène Catherine Vidal, il a créé avec Olivier Morin et elle la troupe Bec-de-Lièvre, spécialement pour monter Le grand cahier.

Renaud Lacelle-Bourdon s'estime chanceux: depuis 10 ans, il a toujours vécu de son art. Les cinq premières années, il a surtout travaillé pour la télévision (Watatatow, Francoeur, Miss Météo). Les tournages réguliers lui permettaient de se consacrer à de petites productions autogérées. Il a aussi joué dans Saint-Martyr-des-Damnés, de Robin Aubert, avec qui il espère retravailler un jour.

Depuis, il vit essentiellement du théâtre, avec des contrats de télévision ici et là. «J'aime beaucoup le travail en équipe, l'échange. La représentation, c'est notre but, mais la recherche est toujours très stimulante pour moi.» Il aime le travail spirituel qu'exige le texte, la possibilité qu'il y a au théâtre d'approfondir le sens de chaque phrase, de préciser les nuances.

Don de soi

Il faut être prêt à se donner entièrement pour plonger dans des zones d'inconfort extrême comme dans Vincent River, en 2006, où il partageait avec Danielle Proulx un terrible huis clos imprégné de douleur, de sang et de sexe honteux.

Ou encore pour participer aux audacieuses créations du chorégraphe Dave St-Pierre. «Avec Dave, c'est plus athlétique. Il va amener le physique très loin avec une théâtralité, une performance. C'est très précieux dans ma carrière. Chaque fois que je reviens d'un laboratoire ou d'une tournée avec lui, je me sens chargé, énergique. Ça défoule beaucoup.»

Les pièces de Dave Saint-Pierre ont une réputation sulfureuse. On peut facilement n'en retenir que l'obscénité et le côté provocateur (des hommes nus qui gesticulent parmi le public, coiffés de perruques blondes...), et passer à côté de l'expérience théâtrale. De même, périodiquement, l'oeuvre d'Agota Kristof refait scandale lorsque des parents découvrent qu'elle est au programme d'études de leurs adolescents. Les scènes de zoophilie et de pédophilie dérangent, surtout lorsqu'elles ne sont pas replacées dans leur contexte de guerre et de survie.

«Oui, ils ne sont pas ordinaires, ces deux jumeaux, note l'acteur. À cet âge-là, avoir l'idée d'enlever la douleur de l'esprit et du corps, de tuer pour s'endurcir, pour pouvoir tuer sans avoir d'émotions... C'est inhumain, mais il y a aussi quelque chose d'humain.»

Quand la seule préoccupation est la faim, la violence et la trahison peuvent survenir. «Dans L'opéra de Quat'Sous, c'est plein de ça aussi. Les gens de la rue qui vont trahir pour survivre, pour sauver leur peau, poursuit-il. Les jumeaux du Grand cahier, c'est comme des superhéros!»

Le grand cahier, dès le 23 août au Théâtre de Quat'Sous.