Hier soir, cinq minutes avant le début de Totem, 28e création du Cirque du Soleil et deuxième mise en scène de Robert Lepage dans l'univers du cirque, tout le monde ne parlait que de la septième partie opposant le Canadien aux Capitals. Cinq minutes après le début du spectacle, tout le monde n'avait d'yeux, d'oreilles et d'ébahissement que pour les acrobates hallucinants de Totem!

C'est que ce nouveau spectacle mise sur ce qui a toujours fait la force du Cirque du Soleil: le cirque, tout simplement! Dans un univers qui rappelle les débuts du monde et où les projections apportent vraiment quelque chose (une plate-forme inclinée devient étang, volcan, désert, mer, où illusions et réalité se marient), les numéros se sont succédé à une vitesse folle, avec toujours le même degré de dépassement. Oui, il est bien question ici et là du début de la vie et de notre évolution. Mais cette fois, Lepage a décidé de ne pas théâtraliser le cirque, il a plutôt choisi d'embrasser ce monde et de le pousser encore un peu plus loin en s'inspirant de cette part admirablement animale en nous: notre corps. L'utilisation de nos quatre membres, la possibilité de grimper, celle de se tenir en équilibre, de bouger la tête, de plonger, de voler, de tourner sur nous-même, non pas pour assurer notre survie, mais bien pour créer de la beauté et de l'extraordinaire. Ou de remporter la victoire comme l'ont fait les joueurs du Canadien, qui ont été ovationnés par la foule à l'entracte. Le Cirque et le Canadien dans la même soirée, il y avait de quoi se réjouir.

Dans des costumes généralement très beaux inspirés de la nature (si on excepte ceux de type «tigre») et sur des musiques enlevantes puisant principalement dans les rythmes indiens, amérindiens et africains, les 12 numéros, entrecoupés d'apparitions de deux clowns admirablement ridicules et hilarants, ont tenu en haleine les très nombreux spectateurs.

Car c'est fou ce qu'on peut faire avec des bols en métal quand on est cinq jeunes femmes montées sur des monocycles de huit pieds de haut. C'est malade ce qu'on peut créer en faisant tourner de grands coussins au bout de nos membres à toute vitesse. C'est extraordinaire ce que des êtres humains peuvent réaliser avec des perches d'une hauteur effroyable ou des barres russes.

C'est tout simplement chavirant, la danse de séduction des deux jeunes acrobates québécois sur trapèze fixe. C'est incroyable de réussir à réinventer la jonglerie comme ce spectacle le fait - car, oui, plusieurs arts anciens du cirque sont réinventés dans Totem. Et je l'avoue, j'ai arrêté de respirer pendant le numéro de patins à roulettes. Parce que le cirque, c'est aussi la peur, celle qui donne du poids à nos gestes.

Et tout cela était mêlé de moments vraiment beaux (le danseur amérindien multipliant les anneaux, le décor, les chorégraphies) et surtout de moments vraiment drôles, où on reconnaît l'humour extrêmement efficace de Lepage: l'eau dans laquelle est née la vie, c'est aussi celle dans laquelle on se baigne, on joue, on fait du bateau. Et dans laquelle on exhibe ses pectoraux: disons que Totem compte parmi les spectacles où la beauté masculine est vraiment mise en valeur. On ne s'en plaindra pas...

Mais j'insiste sur les touches d'humour parce que ce sont elles qui ont permis d'éviter l'écueil du ton moralisateur ou pessimiste: évocation de films (Jaws, La planète des singes, 2001, l'odyssée de l'espace), évocation visuelle de l'atome ou de la cellule, représentation de l'humain contemporain à coups d'attaché-case et de cellulaires, tout nous rappelle que nous sommes capables aussi d'autodérision. C'est aussi ce qui fait de ce spectacle l'un des plus «familiaux», les plus «pour tous les âges» conçus par le Cirque depuis près de 30 ans.

Alors que bien des gens s'interrogent sur l'avenir du Cirque du Soleil à la suite de quelques échecs et demi-réussites, Totem vient nous rappeler de quoi cet avenir est fait: de l'être humain, toujours capable de se dépasser. D'ores et déjà, Totem est à ce titre et à bien d'autres l'un des grands spectacles du Cirque du Soleil.

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Totem, du Cirque du Soleil, est présenté à Montréal jusqu'au 27 juin et à Québec du 22 juillet au 29 août.