Grand soir de première, mercredi au Saint-Denis. Le tout-Montréal artistique et sportif, de Gregory Charles à Yvon Lambert, était venu voir ce fameux Blues d'la métropole imaginé et écrit par des inconnus et produit - avant l'implication du géant evenko - par une petite boîte qui s'y connaît surtout en télé.

Toute la «gang» des Beau Dommage était évidemment aux premières loges et on les soupçonne d'avoir eu des frissons en voyant renaître leurs chansons de si belle façon plus de 30 ans après leur création. L'exercice était périlleux : comment célébrer la musique de ce groupe, si foncièrement montréalaise fut-elle, tout en bâtissant une histoire qui se tienne sans plaquer littéralement son déroulement sur des textes de chansons qui n'ont souvent en commun que leurs auteurs? Ce défi, le metteur en scène Serge Denoncourt, les artisans et la troupe de danseurs et d'acteurs-chanteurs du Blues d'la métropole l'ont brillamment relevé en créant quarante-cinq numéros musicaux qui s'emboîtent l'un dans l'autre tels les morceaux d'un puzzle pour constituer la trame narrative du spectacle.

En début de soirée, Denoncourt a lancé un avertissement : interdit de bouder son plaisir! Le public d'invités a compris le message. On va au Blues de la métropole comme on irait à l'opéra où à une comédie musicale de Broadway : en laissant son esprit cartésien au vestiaire, en ne s'attardant pas indûment aux chassés-croisés de ces couples de jeunes Montréalais pour mieux se laisser emporter par le pur plaisir d'un spectacle total qui nous ressemble.

Contrairement à Mamma Mia!, dont l'intérêt premier était de deviner à l'avance lequel des succès d'ABBA on allait chanter, Le blues d'la métropole a plusieurs atouts en plus des chansons que l'on a confiées aux mains expertes du directeur musical Christian Péloquin, un proche de la famille Beau Dommage. Des chansons qui ne survivraient pas à cette transposition théâtrale si ses concepteurs n'avaient pas compris toute l'importance des harmonies vocales magnifiquement rendues par la troupe.

La distribution, aussi bien les sept acteurs-chanteurs que les danseurs dirigés par Nico Archambault, inculque un dynamisme essentiel à cette production, malgré l'évidente nervosité du soir de première. Au premier chef, le vétéran Normand D'amour, suave dans son rôle d'ancien espoir du hockey converti en propriétaire de taverne, la combative Pascale Montreuil et Sophie Tremblay dont la très vamp Marie-Chantale semble sortie tout droit de l'imagination de Luc Plamondon.

Il faut aussi parler des décors qui se transforment sous nos yeux, des rues et ruelles de Villeray à une forêt de bouleaux en passant par le Chinatown sous la neige, un numéro qui a été presque aussi applaudi que celui de Ginette-qui-danse-dans-son-cerceau en première partie. Ces décors sont enrichis par des projections qui transforment les murs de briques en hangars de tôle et en gratte-ciel ou qui font défiler sur l'écran central des images de la dynastie du Canadien de 1976 ou encore de l'Expo 67.

Mais ce Blues d'la métropole transcende la nostalgie bébête. J'ai même l'impression qu'il donnera encore plus le goût de redécouvrir la musique de Beau Dommage que n'importe quelle réédition de CD ou résurrection ponctuelle du groupe à la télé. Le bouche-à-oreille fait déjà son effet et il faut s'attendre à ce que d'autres supplémentaires s'ajoutent rapidement.

LE BLUES D'LA MÉTROPOLE, AU THÉÂTRE SAINT-DENIS, JUSQU'AU 2 MAI.