Dans Huis clos, Pascale Bussières foule les planches d'un théâtre pour la deuxième fois. Elle y joue le rôle de la méchante Inès, une femme qui se nourrit de la souffrance des autres, une damnée dont la vie a été un enfer et qui n'est donc pas surprise de se retrouver réellement en enfer.

Après avoir tourné dans plus de 30 films et incarné à la télé aussi bien la femme de René Lévesque et la photographe de presse de Mirador que l'incorrigible Becky Walters du Coeur a ses raisons, Pascale Bussières revient au théâtre pour la deuxième fois seulement en carrière. Dans Huis clos de Jean-Paul Sartre, qui prend l'affiche au TNM, elle interprète Inès, employée des Postes lesbienne et existentialiste qui fume. Mais seulement sur son affiche.

Pascale Bussières brûle d'envie de fumer une cigarette. Elle pourrait se le permettre. Il est presque 16h, heure idéale pour une petite pause délinquante, mais la délinquante a décidé pour une fois d'être sage et de se contenter d'un thé vert. «Je suis une excessive, dit-elle. Je sais que ça ne paraît pas, j'ai l'air très détendue comme ça, mais ça bouillonne à l'intérieur; alors il faut que je modère mes transports.»

Nous sommes à une semaine de la première de Huis clos. Toute la journée, Pascale a répété au TNM avec ses camarades de scène Patrice Robitaille et Julie Le Breton et avec la metteuse en scène Lorraine Pintal, qu'elle retrouve 11 ans après Les sorcières de Salem. Aujourd'hui comme hier, Bussières a travaillé fort et d'autant plus qu'elle n'est pas une habituée des planches et dispose de peu d'acquis et de repères auxquels s'accrocher.

«Le théâtre et le cinéma, ce sont deux sports complètement différents, estime-t-elle. S'il fallait trouver une image, je comparerais le cinéma au curling pour le travail d'équipe et le théâtre au skeleton parce que des fois, tu as l'impression de rouler à 140 kilomètres à l'heure face contre terre. Évidemment, la fille qui parle est une fille qui n'a presque pas fait de théâtre et qui entre dans ce monde-là avec énormément d'humilité et, aussi, avouons-le, du courage.»

En effet. Il faut une bonne dose de courage pour se lancer dans les longues diatribes existentialistes de Jean-Paul Sartre, quand on a une courte expérience de scène et aucune formation théâtrale.





Apprendre sur le tas

Contrairement à ses camarades, Pascale Bussières n'a pas fait d'école de théâtre. Les années où Patrice Robitaille apprenait les rudiments de l'interprétation au Conservatoire d'art dramatique et où Julie Le Breton faisait ses classes à l'Option théâtre du collège Lionel-Groulx, Pascale Bussières tournait coup sur coup Eldorado de Charles Binamé, When Night Is Falling de Patricia Rozema, L'âge de braise de Jacques Leduc, Un 32 août sur terre de Denis Villeneuve et Emporte-moi de Léa Pool. Même si elle avait voulu rejoindre ses camarades sur les bancs d'école à ce moment-là, elle n'en avait tout simplement pas le temps. «J'y ai pensé, lance-t-elle, mais je roulais tellement à cette époque-là que je n'avais pas envie de m'arrêter et de faire une sorte de «black-out» pendant quatre ans. Je me suis dit tant pis, je vais apprendre sur le tas.»

Apprendre sur le tas, c'est ce que Pascale Bussières fait depuis l'âge de 13 ans, alors qu'elle a été choisie avec Marcia Pilote pour interpréter une des deux adolescentes suicidaires du film Sonatine de Micheline Lanctôt. Du coup, elle aurait pu suivre une voie qui semblait tracée d'avance. Elle a préféré prendre un chemin de traverse. Elle a commencé par étudier en lettres au cégep Marie-Victorin avant de s'inscrire en production cinéma à Concordia avec la ferme intention de réaliser des films et de passer sa vie derrière, et non devant, la caméra.

La vie en a décidé autrement: la vie ou l'actrice en elle.

«Pendant longtemps, j'ai été sur un fly. J'allais de film en film sans être parfaitement convaincue que je voulais être comédienne. Je faisais ça en dilettante, sans plan de carrière précis. Et puis un jour, je me suis rendu compte que comédienne, c'est ce que j'aimais le plus faire au monde.»

Aujourd'hui, alors que Bussières se prépare à marcher un peu en funambule sur la scène du TNM, elle est consciente de ses limites et avoue qu'elle a le trac. Du même souffle, pourtant, elle souligne que le métier de comédien, c'est avant tout de se mettre en danger et de sortir de sa zone de confort et qu'à cet égard, elle n'aurait pas pu choisir meilleur tremplin pour le faire.

Le regard des autres

Dans ce Huis clos, pièce qu'elle a découverte à l'adolescence, elle joue le rôle de la méchante Inès, une femme qui se nourrit de la souffrance des autres, une lucide et une damnée dont la vie a été un enfer et qui n'est donc pas surprise et à peine déstabilisée de se retrouver réellement en enfer. Pour elle comme pour les deux autres personnages de cette pièce qui a fait scandale à sa création en 1946, l'enfer, c'est les autres. Bussières croit que ce constat qu'a fait Sartre à la fin de la Seconde Guerre mondiale est encore d'actualité dans les sociétés individualistes d'aujourd'hui.

«Plus les gens sont individualistes, moins ils sont prêts à accepter l'image pas toujours idéalisée que les autres leur renvoient d'eux-mêmes. L'enfer, pour un individualiste, c'est assurément le regard et surtout le jugement de l'autre. Pour un acteur, c'est encore pire. L'acteur, par définition, n'existe que dans le regard des autres. On souffre à cause du regard des autres. On se glorifie de leur regard sur nous. On se nourrit de ce regard et parfois il nous détruit. C'est ce qui est le plus dur de ce métier-là.»

Bussières avoue que pendant longtemps, elle a vécu du désir des autres, du moins professionnellement. Et puis, le temps a passé. Elle a eu des enfants, puis a eu 40 ans et, comme bien des actrices de cet âge-là, a eu envie de «caller les shots» et de désirer plutôt que d'être désirée et de vivre dans l'attente du désir de l'autre. Ce long processus de réappropriation personnelle l'a menée timidement vers la réalisation. En 2005, elle a réalisé un documentaire sur l'éducation des enfants intitulé Fais pas ci, fais pas ça dans lequel elle se demande comment concilier son tempérament de délinquante avec son nouveau rôle de mère.

Une pub assumée

À peu près à la même époque, elle s'est mise à coécrire avec Éric Leca, scénariste français qui vit au Québec et enseigne à l'INIS. Leur scénario est inspiré de la vraie vie de Lilian Miner et du Palais de la reine Lil, célèbre bordel des Cantons-de-l'Est du début du siècle dernier, qui prospéra grâce à la prohibition américaine et fit la renommée de sa propriétaire de Montréal jusqu'à Boston. Il y a quatre ans, Bussières a annoncé qu'elle voulait à la fois réaliser et tenir le rôle principal. Mais elle a changé d'avis depuis. Le projet est entre les mains de Denise Robert de Cinémaginaire, et s'il obtient son financement des institutions, il sera réalisé par un cinéaste d'expérience.

En attendant, Bussières a accepté de réaliser une publicité pour la Fondation des maladies du coeur produite par la margarine Becel. Au Canada anglais, Sarah Polley en a fait autant. Mais en apprenant que sa pub diffusée sur CTV pendant les Oscars allait faire la promotion de Becel, Polley a retiré son nom du générique et désavoué le film. Bussières, pour sa part, assume pleinement sa démarche. «Moi, j'ai eu carte blanche pour réaliser un film invitant les femmes à s'occuper d'elles-mêmes. Je n'ai pas le sentiment de vendre de la margarine même si je sais depuis le début que Becel est le commanditaire. Sarah Polley devait le savoir elle aussi.»

Pascale Bussières ne retirera donc pas son nom du générique lorsque son film sera présenté pendant les Jutra puis en salle.

Il y a des actrices qui se dessinent des plans de carrière, qui se fixent des objectifs, qui se donnent des ultimatums et qui finissent habituellement par arriver à leurs fins. Et puis, il y a celles comme Pascale Bussières, femmes floues et fluides qui cheminent d'instinct, sans boussole et sans carte routière, qui se laissent porter par les événements, qui cherchent la rencontre plus que le contrat, et qui se retrouvent dans des salles de montage à monter une pub pour Becel tout en jouant au théâtre dans une pièce de Sartre qui ne parle que de responsabilité et de choix.

Pascale Bussières n'est peut-être pas née à Saint-Germain-des-Prés et n'a pas fréquenté les cafés enfumés où chantait Juliette Gréco, mais elle est une existentialiste à sa manière. Sous ses dehors légers et moqueurs, elle sait très bien où loge l'enfer.

Huis clos, de Jean-Paul Sartre, au TNM du 9 mars au 8 avril.

 

Photo: François Roy, La Presse

Pascale Bussières partage la scène du TNM avec Julie Le Breton dans Huis clos.