Serge Boucher, dramaturge qui a signé la série Aveux (à paraître sous peu en DVD), aime les histoires de famille. Surtout si elles recèlent des blessures jamais guéries, des évidences qu'on refuse de voir, des tissus de mensonges ou des silences pesants. Ce qui se cache derrière les portraits souriants, voilà son matériau.

Avec Excuse-moi, il renoue avec trois personnages pivots de son théâtre: François Dubé (Benoît McGinnis), son père, Denis (Michel Dumont), et sa mère, Claire (Louison Danis). L'enfance, évoquée face au public à travers quelques souvenirs, est loin derrière. François revient à la maison familiale, deux fois, à 10 années d'intervalle, pour endosser le rôle le plus difficile qu'on puisse imaginer: jouer au père et à la mère pour ses parents.

 

Ce difficile renversement des rôles guette tout le monde à une époque où on vit longtemps et pas toujours en bonne santé. Personne n'en a envie. Surtout pas le François que campe Benoît McGinnis, distant et facilement exaspéré par les mensonges de ses vieux. Trop souvent tout d'un bloc, ce François-là ne donne pas beaucoup à voir les tiraillements intérieurs, c'est-à-dire le cocktail déstabilisant d'affection, de pitié et de colère inévitable dans pareille situation.

Benoît McGinnis ne parvient pas à rendre son François totalement convaincant. L'acteur doit aussi composer avec un texte qui ne l'avantage pas, dans la mesure où il se trouve souvent en position d'écoute dans des scènes à deux personnages, forcé de prêter l'oreille au soliloque d'un de ses partenaires de jeu. Ce n'est pas la seule faiblesse de la pièce de Serge Boucher.

Le dramaturge, qui a signé des oeuvres fortes, n'est pas parvenu à trouver la structure optimale pour faire résonner le thème porteur auquel il se frotte. Il s'égare un peu en intégrant les confidences de François au sujet de son enfance (et en filigrane sur son homosexualité), qui n'apportent rien d'essentiel à l'ensemble. S'attarder aux destins de Denis et de Claire dans la même pièce, en explorant des enjeux semblables, s'avère également un choix discutable. L'action n'aurait-elle pas pu s'ancrer autour d'une seule confrontation parent-enfant, axée sur le père ou la mère, qui aurait fait ressortir le tragique de la situation et révélé d'inévitables et parfois terribles secrets de famille?

Habitué à l'univers de Boucher, qu'il a déjà joué et monté, René Richard Cyr a néanmoins adroitement canalisé ce drame familial, jouant habilement avec des pièces de décor qui s'ouvrent et se referment comme les tiroirs de la mémoire. Il ose toutefois un pas dans l'imaginaire qui, lui, ne convainc qu'à moitié. Si l'idée de transporter sur scène un personnage disparu apparaît d'abord comme une piste intéressante, elle aboutit à une finale chorale qui, elle, laisse moins ému que perplexe.

Excuse-moi possède tout de même une grande force, qui réside entièrement dans l'empathie du dramaturge pour Claire et Denis. Ces êtres touchants, aussi conscients de leurs failles que de leur incapacité à les colmater seuls, s'incarnent parfaitement dans le jeu à fleur de peau de Michel Dumont et Louison Danis. Serge Boucher, finalement, n'a pas tant écrit une pièce sur un enfant qui doit jouer au père avec ses géniteurs que sur le drame de deux êtres fragilisés par les coups durs de la vie.

Excuse-moi, de Serge Boucher jusqu'au 27 mars chez Duceppe.