On se plaît à dire que l'habit ne fait pas le moine. Monsieur Jourdain n'entend pas ces choses-là. Son maître de philosophie a déjà du mal à lui apprendre la diction, il faudra attendre encore pour que ce grand naïf saisisse la signification du moindre dicton. Pour ce Narcisse au centre du Bourgeois gentilhomme, la règle est simple: être, c'est paraître.

Benoît Brière, qui signe sa première mise en scène au TNM, et l'équipe de créateurs rassemblés autour de lui ont fait de gros efforts pour flatter l'orgueil de Jourdain. Leur Bourgeois gentilhomme, qui a pris l'affiche la semaine dernière, en met plein la vue.

 

Ce parti pris pour le paraître commence avec le décor, signé Jean Bard: un hall décoré avec ostentation évoquant l'architecture de l'époque, mais aussi ces résidences grandiloquentes que se font construire les nouveaux riches d'aujourd'hui. Deux escaliers rutilants mènent aux appartements privés de Jourdain (Guy Jodoin, époustouflant d'aisance dans cet univers excessif), de sa femme (Monique Spaziani) et de sa fille (Émilie Gilbert).

Cette opulence n'est toutefois rien à côté de l'orgie de costumes (Judy Jonker) et de coiffures (Rachel Tremblay). Jourdain entre en scène en portant une cape longue de plusieurs mètres dans laquelle il ne cesse de s'empêtrer. Sa première transformation vestimentaire donne lieu à un extravagant numéro chorégraphique dont il ressort accoutré dans un «riche» habit aux teintes peu viriles et coiffé d'une risible perruque jaune. Il a l'air d'un gros poussin.

Obnubilé par son désir d'ascension sociale, le riche bourgeois ne voit pas que tout le monde se moque de lui. Tous autant qu'ils sont, les maîtres qu'il engage pour lui enseigner à la va-vite la danse, la musique, la philosophie et le maniement des armes sont de piètres professeurs qui n'en veulent qu'à sa bourse.

Dorante (excellent Denis Mercier), un noble désargenté qui l'appelle pourtant son ami «le plus cher», presse lui aussi Jourdain comme un citron, tout en promettant d'intercéder en sa faveur auprès de Dorimène (Sylvie Léonard, aussi très juste). Seule voix de la raison dans cette maison de fous, madame Jourdain n'arrive pas à ouvrir les yeux à son mari pressé de devenir précieux et qui ne parvient qu'à s'élever dans l'échelle du ridicule.

Molière a bien sûr conçu Le bourgeois gentilhomme comme un grand divertissement. Benoît Brière l'a pris au mot et créé un spectacle à cheval entre théâtre classique, comédie musicale (sa grande turquerie se sentirait très à l'aise sur Broadway) et bouffonnerie. Sa mise en scène est même carrément étourdissante. Tout particulièrement durant la première partie, où les acteurs ne tiennent pas en place: ils se poursuivent, se bousculent, fanfaronnent... et s'essoufflent.

Cet accent mis sur le jeu physique et l'apparat a suscité son lot d'éclats de rire le soir de la première. Il relègue malheureusement trop souvent le texte au second plan. De nombreuses répliques se perdent dans la chamaille et, de manière générale, on a le désagréable sentiment que ce spectacle ne fait pas suffisamment confiance au texte pour s'en remettre à lui.

Ce jeu bouffon parfois bouffon à l'excès tend à faire passer Jourdain non pas pour un grand naïf amoureux d'une femme de la haute, mais pour un grand bêta capricieux, voire un enfant gâté. Le féroce portrait de société peint par Molière perd ainsi une partie de son tonus. Une mise en scène faisant preuve d'un peu plus de retenue aurait mieux servi le texte sans pour autant diminuer son caractère divertissant.

Benoît Brière en fait d'ailleurs la démonstration après l'entracte. Sa scène de repas réunissant Jourdain, Dorante et Dorimène est relativement posée, les déplacements et les répliques y sont soigneusement calculés, et c'est l'une des plus réussies du spectacle. Son Bourgeois, bien qu'efficace et cohérent dans sa démesure, n'aurait rien perdu à faire plus souvent preuve d'une telle mesure.

Jusqu'au 6 février au TNM.