Il faut croire que Traces, le spectacle de la compagnie montréalaise de cirque Les 7 doigts de la main, est en phase parfaite avec l'air du temps, car on avait rarement vu à Paris un succès aussi massif et instantané pour une jeune troupe inconnue. De cirque, de danse ou de théâtre, peu importe, puisque les six jeunes artistes qui se produisent depuis hier au Casino de Paris (18 représentations jusqu'au 3 janvier) chevauchent allègrement tous les arts de la scène.

L'an dernier, pour les fêtes de fin d'année, ils avaient prévu rester deux semaines à la Cigale (800 places). Finalement, ils avaient prolongé d'une semaine. «Traces est un phénomène, un moment d'excitation pure», écrivait alors Le Monde. «Les corps propulsés dans l'espace sont de vrais morceaux d'écriture», disait Libération. Pour son premier coup d'essai, la troupe avait réussi l'exploit de faire salle comble et de séduire les deux médias les plus exigeants du pays.

Avec une distribution entièrement nouvelle, constituée en mars 2009, Les 7 doigts de la main étaient donc de retour en septembre pour une tournée de près de quatre mois, en France et dans les pays limitrophes. Dans des salles de 500 à 1000 places. Pleines à craquer.

Un retour à Paris salué triomphalement par les médias, il n'y a pas d'autre mot. Le Cirque Éloize, qui fait des choses sublimes, est peut-être trop intemporel pour séduire les médias du premier coup. Quant au Cirque du Soleil, il avait bénéficié d'un traitement royal lorsqu'il s'était finalement produit à Paris en avril 2005, mais il état alors précédé d'une gloire internationale époustouflante.

Le Casino de Paris est une très belle salle parisienne, mais elle ne fait jamais que 1200 places. Et Traces est un spectacle intimiste à six inconnus, et non pas une super-machine susceptible d'impressionner les badauds rien que par ses dimensions. Il faut donc saluer ce tour de force - pour la troupe et son service de presse français - d'avoir obtenu, avant même la première représentation, la quasi-totalité des médias électroniques nationaux.

La troupe a déjà donné un extrait au Grand Quiz, une émission majeure de TF1 à une heure de grande écoute. Un sujet a été enregistré et sera diffusé le 21 décembre au principal journal télévisé. Toujours sur TF1. France 3, chaîne publique, a diffusé un sujet à son téléjournal national le 11 décembre et va en rediffuser un autre sur son édition régionale parisienne.

Le «JT» de France 2 est programmé. De même que 100 % Mag sur M6. Et un reportage sur la 5, chaîne culturelle. On a beau dire que le cirque est un art télégénique, tous les cirques qui se produisent en France n'ont pas droit à ce traitement exceptionnel, réservé aux stars.

Avant même que ne commence la série de représentations au Casino de Paris, Traces avait obtenu une demi-page dithyrambique dans Paris Match: «Traces a trouvé sa voie, et sa voix. On en redemande», écrit-on, avant de s'extasier sur «les prouesses, les délices visuels, les instants poétiques».

Le Figaro, de son côté, loue «ce concentré de vitalité, cette maîtrise de l'acrobatie ils savent tout faire, ou presque». Le supplément du gratuit Métro conclut: «Traces surprend, impressionne, émerveille.»

Le magazine Paris Capitale a peut-être trouvé la clef de ce grand succès: «Cette belle création nous offre deux heures de poésie urbaine, qui combine l'univers du cirque et l'univers de la rue.»

Il y a quelque chose, en effet, de très actuel dans ce spectacle qui, en bonne partie, s'écarte totalement du cirque proprement dit: des chorégraphies qui évoquent les bagarres de rue, un lancer de micro baladeur très précis qui permet d'égrener des bouts de phrase, l'utilisation de surtitres lumineux pleins d'humour, un numéro collectif au piano, un autre au skate-board. Et l'utilisation de musiques célèbres subtilement agencées, de la Panthère rose à Radiohead. Un ensemble qui «ravit les adolescents dans la salle».

Sans oublier quelques numéros de virtuosité - équilibrisme, mât chinois - qui arrachent des applaudissements spontanés à la salle. Mais qui ne sont que des éléments parmi d'autres, des temps forts qui ponctuent un spectacle tout en subtilité.

Une subtilité qui en déroute certains. À l'entracte, un père de famille venu avec ses deux filles a décidé de sortir: «C'est davantage de la culture urbaine que du vrai cirque, dit-il. Je ne les connaissais pas, et je m'attendais davantage à un spectacle du genre Cirque du Soleil. Ce n'est pas ce qu'attendaient mes filles.»

Un jeune couple, début de la trentaine, et qui ignorait tout de Traces, s'est déclaré au contraire ravi: «Il y a un mélange parfait de musique, de théâtre et de cirque. Et les enfants apprécient. Ils rient énormément.»

Les vacances scolaires auraient-elles déjà commencé? Il y avait une bonne centaine d'enfants hier soir au Casino de Paris. Et en effet ils avaient l'air de trouver que Les 7 doigts de la main venait d'inventer pour eux, outre les exploits d'acrobatie, une version moderne des éternels numéros de clown.

Bref, un spectacle où pendant les fêtes de fin d'année, les parents branchés peuvent amener leurs enfants sans avoir l'impression de régresser mentalement. Résultat: la moitié des places déjà vendues pour les 17 représentations à venir.