La première du spectacle MusicMan de Gregory Charles n'avait pas débuté depuis 15 minutes, hier au Théâtre Saint-Denis, que déjà Mister Charles avait joué du violon pour évoquer Paganini; du piano pour Liszt; joué de la clarinette à la manière de Benny Goodman; dansé à la manière de Gene Kelly et d'Elvis Presley; brassé du popotin en se prenant pour Alys Robi; entonné comme un malade le refrain de Fu man chu de Charlebois; prit sa voix de ténor pour interpréter Mario Lanza; monté sur le piano pour chanter Barbra Streisand! En moins de 15 minutes. Et j'en passe.

Aurez-vous compris que Gregory Charles est toujours aussi intense et que son nouveau spectacle est construit sur le rythme trépidant auquel il nous a habitués? Est-ce à dire qu'il s'agit d'une répétition de ce qu'il a déjà présenté? Niet, pas du tout.Le concept de superhéros musical, qui révèle les deux superpouvoirs de la musique (le souvenir et l'époque), tout en tentant de relever un défi délirant à la fin, a le mérite de renouveler la formule à laquelle il nous a habitués. En faisant appel à Serge Postigo pour la mise en scène et en ménageant quelques moments particulièrement touchants - même s'ils sont aussi un peu mélosentimentaux -, le chanteur et érudit de la musique parvient à se réinventer.

Bon, c'est vrai, il y a parfois un peu trop de mise en scène. Par exemple dans le très beau moment où Gregory Charles évoque le premier pouvoir de la musique, celui du souvenir, et qu'il profite de cet instant pour parler de la maladie d'Alzheimer qui frappe sa mère, «mon premier héros»: pas besoin de silhouettes pour évoquer une mère et un enfant, la vraie vie suffit, tel que présentée par des photos projetées, la vraie vie et la musique. Et puis, le petit enfant (c'est une petite fille) qui incarne Gregory enfant, au début du spectacle, et qui chante une version remaniée d'Ordinaire («Je suis un petit gars bien ordinaire») avec des envies «d'extraordinaire», joue du violon et du piano, c'est bien, mais il revient inutilement à la fin de la première partie.

Cela étant dit, Gregory Charles présente un spectacle à haute teneur vitaminée, un spectacle échinacée fait pour affronter l'hiver et le froid. Un spectacle digne des très grands shows de très grands casinos. Qu'on me comprenne bien, c'est un compliment puisque c'est dans ces endroits que Sinatra, Presley, le Rat Pack et tant d'autres ont été des «entertainers» de première qualité.

«Entertainer» de grand acabit, superhéros de la musique, musicman qui marquera son époque, c'est justement le titre auquel Charles aspire pendant tout le spectacle, on l'a déjà dit. Il y réussit notamment avec un pot-pourri de ses musiciens noirs favoris, mêlant Ray Charles, Stevie Wonder, Marvin Gaye, les Jackson Five, y compris quand une de ses choristes interprète Don't Stop The Music de Rihanna.

Mais c'est dans la deuxième partie qu'il frappe fort en invitant un couple marié depuis plus de 50 ans et qu'il leur interprète leur vie à l'aide des chansons des années marquantes de leur union. Et surtout quand il relève l'exploit d'interpréter en 25 minutes, 25 chansons de 25 années lancées par le public.

Évidemment, c'est une deuxième partie pas mal plus chaotique, mais finalement, c'est quand il improvise et qu'il se lance dans le vide que Gregory demeure unique. "Un peu freak, un peu nerd" comme il le dit lui-même, mais ce sont les qualités fondamentales des superhéros de tout temps.

Le pouvoir de la musique est réel, et il faudrait être bien fou pour nier le plaisir qu'on prend pendant le spectacle de Super Gregory Charles, l'homme qui joue toujours plus vite que son ombre, pour le bonheur de milliers de simples humains avec qui il communique par la musique.

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Gregory Charles et son spectacle MusicMan jusqu'au 12 décembre au Théâtre Saint-Denis.