Angela Laurier revient chez elle, mais elle revient surtout de loin. Et elle n'est pas seule. Elle se ramène et, avec elle, son père et son frère, pour renouver, réconcilier, reconstruire. Dans le cadre d'un spectacle, Déversoir, sorte de thérapie familiale in vivo.

L'ancienne artiste du Cirque du Soleil, qui a travaillé en danse avec nombre de metteurs en scène internationaux depuis, revient ici à 47 ans pour se refaire une famille. Une famille longtemps affectée par la maladie mentale de l'un des ses onze membres, mais qui, à travers la vidéo et l'art d'Angela, a vécu une catharsis réparatrice. 

«Cette création avait débuté comme projet documentaire: retrouver mon père et mon frère en les filmant en 2004, explique Angela Laurier en entrevue téléphonique de son domicile de Cherbourg en France. En 2007, j'ai montré ces images et on m'a demandé d'en tirer quelque chose. Je me suis remise à la contorsion. J'ai trouvé un parallèle avec le discours de mon frère sur la folie. Il y a une forme d'aliénation dans l'enfermement de l'entraînement.»

 

Sur vidéo, son père parle. En images et en scène, son frère Dominique dévoile aussi sa vie, ses relations, sa médication, ses internements, sa schizophrènie, sans tabou. Angela s'exprime, elle, avec son corps pour se fondre dans la parole, rare, des hommes.

«J'ai commencé la contorsion au moment où mon frère entrait à l'hôpital psychiatrique il y a longtemps. J'avais besoin de fermer la boucle. On culpabilisait énormément quand on allait le voir à l'hôpital et qu'on en ressortait. Il était des mois enfermé dans une chambre avec vue sur le stationnement.» Elle sentait donc la nécessité des retrouvailles, de recoudre des destins parallèles, hantés par des démons similaires.

«On a retrouvé un rapport. Je les ai retrouvés comme jamais. Quand je faisais des séjours au Québec, j'étais toujours frustrée. Là il y a un lien qu'on creuse et approfondit. On a trouvé une continuité.»

Démarche authentique

Même si cette thérapie intime est jouée en public, Il n'y a ni exhibitionnisme ni voyeurisme dans la démarche, assure-t-elle.

«Je ne pensais jamais le faire à Montréal, mais j'ai été approchée par le Théâtre La Chapelle. J'ai vu la salle et j'ai dit oui. La famille m'a appuyée aussi. Je ne serais pas venue s'ils ne l'avaient pas voulu. Ça remue, ce spectacle. Mais pour le mieux.»

Dans Déversoir, Angela Laurier utilise la caméra comme un filtre apaisant qui a installé la confiance et permis la confidence.

«J'avais besoin d'un objectif, dans tous les sens du terme, entre nous. La caméra les a rendus, mon père et mon frère, plus disponibles, curieusement, pour se révéler. Dominique n'avait jamais parlé de sa maladie avant. Il s'est établi une complicité avec celui qui filmait, Manuel Pasdelou, qui est mon copain. Il lui a dit des choses que je ne savais pas. C'est très émouvant.»

Dominique Laurier vit maintenant en France tout près de chez sa soeur, qui l'avait invité en 2007 à venir présenter une première forme courte de ce spectacle.

«Ça faisait 26 ans qu'il n'était pas sorti de la famille et de l'environnement psychiatrique. Ça s'est très bien passé. Il y a eu un échange avec le public. Il fait la tournée maintenant. On arrive de Moscou, de Croatie, Londres, Bruxelles.»

Les nécessaires voyages

La famille Laurier a le voyage dans le sang. Le père est arrivé au Québec en 1952. Il n'a jamais voulu retourner dans son Berry natal, au centre de l'Hexagone. Angela Laurier a fait le chemin inverse, mais un peu pour les mêmes raisons d'émancipation.

«Après le Cirque du Soleil, il y avait plus d'ouverture en France. Et comme mon père nous avait donné la nationalité, ça m'a servi.»

Déversoir a déjà une suite en préparation, J'aimerais pouvoir rire, qui sera créée au Palais de Chaillot en février. Le processus se poursuit.

«C'est moi qui ai le plus changé dans tout ça, confie Angela Laurier. Tout est parti d'un mal-être à moi face à la maladie. Dominique, il faut juste le laisser aller au bout de sa parole. C'est un livre ouvert. On a évolué énormément. On a trouvé une fraternité. Toute la famille.»

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Déversoir est présenté au Théâtre La Chapelle du 1er au 6 décembre. Il y aura relâche jeudi et échange avec les artistes après la représentation de vendredi.