Normalement, un conteur rigolo venu du fond de la campagne, ça n'a pas beaucoup de chance de marcher à Paris. Fût-il même exotique ou québécois. Le public parisien, et encore davantage les médias, apprécient les produits urbains, sophistiqués et un peu cyniques.

C'est donc un véritable tour de force de la part de Fred Pellerin que de mettre dans sa poche à la fois des professionnels parisiens du théâtre et du spectacle et, si tout se passe bien, un public branché qui, hier soir en tout cas, semblait accroché à ses lèvres et ne perdait pas un mot de ses récits fabuleux de Saint-Élie-de-Caxton.

Fred Pellerin avait déjà obtenu un joli succès d'estime au mois de novembre 2008 avec 10 représentations au théâtre du petit Saint-Martin, qu'il avait à peu près rempli avant de continuer dans plusieurs villes de province. Et s'était fait remarquer dans quelques médias de référence.

Depuis hier soir, il récidive de nouveau dans une petite salle de 200 places, mais cette fois au prestigieux théâtre du Rond-Point (des Champs-Élysées). Un lieu à la fois à la mode et l'un des plus conviviaux de Paris, en raison de la diversité de sa programmation, du charme de son bar-restaurant, ouvert tard le soir et fort bien fréquenté, mais aussi de la richesse de son histoire moderne, qui garde l'empreinte de Madeleine Renaud et Jean-Louis Barrault.

Son directeur actuel, Jean-Michel Ribes, est un homme-orchestre de la scène parisienne. Auteur de nombreuses pièces de théâtre, traducteur, metteur en scène, producteur de deux séries-cultes à la télévision, Palace et Merci Bernard. Acteur à ses heures et réalisateur de cinéma. Un personnage talentueux et dans le vent.

C'est lui qui est allé chercher Fred Pellerin: «Plusieurs amis avaient vu son spectacle en novembre 2008, a-t-il expliqué hier soir après le spectacle. Je l'ai vu le dernier soir et j'ai été conquis. Fred Pellerin n'est pas seulement un conteur québécois ou de la campagne: c'est un conteur universel, dont les fantaisies et les inventions de langage peuvent toucher tout le monde. Ce n'est pas pour rien que je l'ai mis à l'affiche pour cinq semaines complètes.»

Le conteur universel en question, à l'issue de sa performance d'environ 90 minutes menée tambour battant, fait son apparition dans le petit salon où l'on a organisé un cocktail pour cette première: «Cette fois, j'admets que j'étais un peu stressé à cause du lieu, dit-il: le théâtre du Rond-Point, c'est vraiment un lieu illustre.»

Difficulté supplémentaire: son Arracheuse de temps, qui s'étire parfois jusqu'à deux heures et demie au Québec au fil de ses improvisations et digressions, doit être impérativement contenu à l'intérieur d'un horaire strict: début à 18 h 30, conclusion avant 20 h. Un spectacle de première partie de soirée plutôt populaire à Paris: on y va à la sortie du bureau, avant de dîner sur place ou dans le quartier. Mais bon: cela force Pellerin à couper dans le texte original, mais donne peut-être encore plus de virtuosité à sa démonstration époustouflante.

Est-ce que le public français est dérouté par son accent prononcé ou son vocabulaire? «Pas du tout, estime Éric Libiot, critique de spectacles à L'Express, l'un des principaux hebdos nationaux. Parfois il y a un mot qu'on ne comprend pas, mais on comprend le sens.»

Libiot lui a consacré une demi-page dithyrambique - ce qui vaut de l'or - et présente L'Arracheuse de temps comme «le spectacle le plus drôle de l'année». Fred Pellerin, de son côté, a ajouté ici et là quelques explications de vocabulaire - «t'sais, Paris, ce que ça veut dire?», et se force à ralentir son débit pour le public français. De toute façon, il invente des mots à lui qui n'existent pas non plus au Québec.

Lui-même prévoit quelques petits ajustements au fil des spectacles, mais de toute évidence, les spectateurs ne perdent jamais le fil de ses histoires folles et poétiques.

Bien sûr, Fred Pellerin n'est pas «un produit commercial», comme le dit son entourage. Donc pas de télés en vue. En revanche, une demi-douzaine de grands médias sont attendus au cours des trois prochaines représentations.

Comme on dit ces jours-ci à Paris, il y a «un bon buzz» autour de ce personnage imprévu et inclassable.