Partenaire de Wajdi Mouawad dans la compagnie Abé Carré Cé Carré, le comédien Emmanuel Schwartz fait ses vrais débuts à la mise en scène avec Maxquialesyeuxsortisducoeur, l'un des volets du spectacle Chroniques, dont il signe tous les textes. «Pour moi, c'est immense, dit-il, mais je ne tiens pas pour acquis que c'est important pour les autres.»

Début d'après-midi, lundi. Emmanuel Schwartz arrive avec un petit retard au lieu du rendez-vous, un café situé en face de l'École nationale de théâtre. Il apparaît au coin de la rue, cheveux en bataille, cigarette au bec et barbe de quelques jours. Un look brouillon, très «artiste», éclairé de la lumière vive qui jaillit de ses yeux bleus.

 

Il sort de la dernière répétition de sa pièce Maxquialesyeuxsortisducoeur, qu'il met en scène lui-même, et doit enfiler deux entrevues avant de filer à Ottawa, pour renouer avec Wilfrid, personnage qu'il interprète dans Littoral. Le jeune comédien de 27 ans a donc une journée de fou. Encore. «Ça fait longtemps que je ne me suis pas reposé», concède-t-il.

Les coups de fatigue, il connaît. En juillet, à quelques jours de la présentation de Sang des promesses à Avignon, il a donné la frousse à tout le monde en s'effondrant en pleine répétition. Il était toutefois sur pied - et «magnétique», a écrit ma collègue Sylvie St-Jacques - le soir de la première. Son interprétation a d'ailleurs été soulignée par des commentaires élogieux dans des journaux français.

«Avignon a créé une sorte de vague à laquelle je ne m'attendais pas. Je ne revendique aucun crédit pour cet événement, précise-t-il toutefois. J'étais à la bonne place au bon moment. Par chance, en plus.»

Sa chance, c'est d'abord d'avoir croisé le chemin de Wajdi Mouawad. Et que ça ait cliqué entre eux. Plus que des amis, ils sont devenus des partenaires au sein de la compagnie Abé Carré Cé Carré. «Ce qui est étrange avec Abé, dit-il, c'est qu'on est à la fois une très grosse compagnie, parce que Wajdi fait des spectacles depuis longtemps, et une très petite compagnie parce que moi, je vais créer mon premier. Ou à peu près.»

Poings et plume

Emmanuel Schwartz, fils d'un musicien de jazz anglophone et d'une orthopédagogue francophone, ne se rappelle pas comment il est arrivé au théâtre. «Petit, j'aimais m'exprimer. Même le bricolage me passionnait. Je suis né à l'époque de Passe-Partout et, comme je montrais des aptitudes, on m'encourageait, dit-il. J'ai fait du théâtre dès que j'ai eu l'âge, vers 9 ou 10 ans.»

S'il n'est pas certain du chemin qui l'a mené sur les planches, il se rappelle précisément la mésaventure qui l'a incité à écrire sa première pièce, Antiviol: il y a sept ans, il s'est retrouvé «sans trop le vouloir» au milieu d'une bagarre et a été battu «jusqu'à perte de conscience» par une équipe de rugby. Le frêle jeune homme était au mauvais endroit, au mauvais moment. Pas de chance.

«Après ça, j'ai eu peur pendant six mois, avoue-t-il. J'avais peur de circuler le soir tout seul à Sainte-Thérèse (où il était inscrit à l'Option-Théâtre du Cégep Lionel-Groulx). Même si on ne sortait jamais d'un quadrilatère de cinq rues.» La comédienne Enrica Boucher, une amie de longue date, l'a aidé à mettre en forme ce texte, qui a été créé en 2003 au Festival Fringe.

Maxquialesyeuxsortisducoeur est aussi imprégné d'une certaine violence. Il dépeint un monde trouble où il n'y a pas vraiment de frontières entre le «réel» et un univers fantastique peuplé d'ogres et de dragons. Le ton évoque le poème épique et son personnage titre, Max, y joue un rôle de narrateur qui n'est pas sans rappeler le coryphée des tragédies grecques.

Ce ton, on le retrouvera aussi dans les deux autres volets de Chroniques, un spectacle d'ailleurs lié par «le rapport à l'écriture» des trois personnages principaux. Max est un poète («Mon fantasme d'être Rimbaud. Mon complexe d'être déjà trop vieux pour être Rimbaud», avoue l'auteur), Bérénice écrit «pour retrouver la femme qu'elle est devenue», alors que Clichy amorce un dialogue imaginaire avec le fantôme de son idole, Bernard-Marie Koltès.

Univers contrastés

Emmanuel Schwartz se charge de mettre en scène Max. Le destin de Bérénice sera pris en charge par Alice Ronfard, alors que Jérémie Niel (dont la compagnie, Pétrus, coproduit Chroniques) s'occupe de Clichy. Trois metteurs en scène, trois univers contrastés. «Moi, je suis dans la matière, dit le jeune auteur. Alice est dans la vidéo et Jérémie dans le son.»

Son idée première était de travailler dans le dépouillement. Mais il a fait volte-face. Il s'est mis à accumuler les matières, les signes et les sens. Son groupe d'acteurs, des gens qu'il côtoie depuis longtemps, a même fini par lui dire qu'il en mettait trop, qu'il fallait arrêter d'en rajouter, que ça ne marcherait pas. Il dit qu'il est braqué, avoue qu'il les a implorés de le suivre même s'il ne savait pas ce qu'il faisait. Emmanuel Schwartz en ressort visiblement ébranlé.

Et ça marche, lui demande-t-on?

«Je suis content. Ben, ben content, assure-t-il.

Le jeune homme de théâtre admettra plus tard qu'il n'a aucune idée de la façon dont son travail sera reçu. En revanche, il sait qu'il ne vivra jamais plus ce genre de liberté ni ce genre de questionnement. «Après, je vais être prédéterminé par cette expérience-là, croit-il. Je m'en suis permis beaucoup. Et je ne sais pas si c'est une bonne chose.»

 

Entrée en scène

Et je sais que cela doit être le paradis, dès demain (dates multiples) à La Petite Licorne.

Sexy béton, du 21 septembre au 1er octobre au Studio du Centre Segal.

Rêves, chimères et mascarade, du 22 septembre au 10 octobre à l'Espace libre.

Monsieur de Pourceaugnac, du 23 septembre au 9 octobre à la salle Fred-Barry.

Chroniques, du 24 septembre au 10 octobre à La Chapelle.