Aznavour a multiplié les tournées d'adieu. Pour ses énièmes spectacles à Montréal cette semaine, La Presse a décidé de dépêcher une journaliste qui n'a jamais vu sur scène le grand chanteur français, aujourd'hui âgé de 84 ans. De son regard neuf, voici son compte rendu du spectacle.

À 84 ans, Charles Aznavour caresse toujours le temps. Du moins, il est loin d'être «seul et déchiré» devant «une scène vide» comme il le chante dans J'abdiquerai, un clin d'oeil ironique à ses tournées qui ne sont jamais les dernières.

Le célèbre parolier français semble loin de vouloir dire véritablement adieu à son public et de recevoir son «ultime ovation». «Si vous vivez jusqu'à 120 ans, je vais vivre jusqu'à 140 ans», a-t-il blagué à la foule, hier soir.

C'était le premier de quatre spectacles qu'Aznavour donne cette semaine à la salle Wilfrid-Pelletier de la Place des Arts. Le chanteur a eu droit à une ovation dès son entrée en scène, devant un public qui ne demandait qu'à être là.

«Arrêtez, je n'ai pas de son», a lancé Aznavour, avant qu'un technicien ne vienne bouger ses vêtements pour ajuster son moniteur.

À 84 ans - 85 le mois prochain -, Aznavour est décontracté sur scène, toujours heureux comme un poisson dans l'eau. S'il a fallu le temps de deux chansons - Les Émigrants et Paris au mois d'août - pour que ses musiciens et lui prennent véritablement leur erre d'aller, à Je t'aime A.I.M.E., le public vibrait.

Sur scène, Aznavour est un véritable chanteur de charme, mais surtout un interprète senti et terriblement vrai. Avec sa petite taille, son smoking noir et ses souliers en cuir verni, son aisance est d'un naturel séduisant: il y va de quelques pas de danse, tourne allégrement sur lui-même et fait vibrer sa main comme il se doit quand l'émotion est au rendez-vous.

La façon dont il parle de la jeunesse, du temps qui passe, de la célébrité et du passé est à la fois nostalgique et rempli de sagesse. On a beau avoir entendu les chansons d'Aznavour des centaines de fois, on ne se lasse pas de réfléchir sur le sens des mots. Pour le présent spectacle, Aznavour a même choisi de réciter le texte de sa chanson Sa jeunesse, sans musique. «Il faut boire jusqu'à l'ivresse sa jeunesse»...

Dix musiciens accompagnaient le chanteur sur scène, dont le batteur québécois Paul Brochu et sa fille, Katia Aznavour, avec qui il a chanté en duo Je voyage. À notre avis, la musique était parfois trop opulente par rapport à la voix du chanteur, qui pourrait simplement être accompagnée d'un piano.

Aznavour a chanté plusieurs de ses grands succès comme Désormais, Ave Maria, Hier encore et Comme ils disent. Il s'est également fait aller les épaules au son de l'arabisante L'amour bon Dieu l'amour. Si sa voix n'était pas tout à fait juste sur Non je n'ai rien oublié, il a réservé au public le meilleur pour la finale, enchaînant coup sur coup La bohème et Emmenez-moi.

Tout le monde avait la tête ailleurs, entre Montmartre et le pays des merveilles. Peut-être même le directeur-général du Canadien, Bob Gainey, qui assistait au spectacle hier soir.

Non seulement voir Charles Aznavour pour la première fois en valait la peine, c'était une grande leçon de musique et d'interprétation. Avoir du magnétisme et du plaisir sur scène, cela n'a pas d'âge, mais surtout pas de prix.