Il a comme voisin un bingo. Sa scène n'est pas high-tech, ses sièges ne sont pas ergonomiques et il n'y a rien d'épuré dans la déco de son foyer qui, pour dire vrai, a tout pour horripiler les amoureux de design milanais. Même que la dernière fois que je lui ai rendu visite, j'ai fait le piquet dehors - par -26°C sans le facteur sibérien - avec une douzaine d'autres spectateurs. Nous avions oublié qu'à moins d'arriver 45 minutes à l'avance, il fallait non seulement renoncer aux premières rangées, mais aussi à la joie de patienter dans un étroit couloir chauffé.

Mais personne ne râlait: il est souvent plus difficile de mettre la main sur une paire de billets pour La Licorne que de trouver des places au parterre du Centre Bell pour voir Justin Timberlake.

 

Jean-Denis Leduc, à qui le Réseau indépendant des diffuseurs d'événements artistiques (RIDEAU) a remis cette semaine son prix Hommage, dirige le théâtre le plus vivant, créatif et intéressant à Montréal. Un microthéâtre pourvu d'à peine 120 places. C'est chez lui, à La Licorne, que sont nées les Coma Unplugged, Félicité, Août, un repas à la campagne, La société des loisirs, Avaler la mer et les poissons, et tout récemment Le Pillowman. Depuis 10 ans, il fait découvrir les créations du Théâtre de la Manufacture un peu partout au Canada et au Québec, en réalisant au moins une grande tournée par année.

Il a beau faire salle comble, afficher des supplémentaires tout en accumulant les succès d'estime, Jean-Denis Leduc n'a toujours pas réuni les 1,8 million de dollars manquant pour doubler la superficie de son théâtre. «Ça fait 12 ans qu'on remplit nos salles à 100%. Même si nous sommes à l'encontre d'une situation économique où ça va mal, nous représentons une réalité à Montréal: celle d'un théâtre qui va très bien», me confiait Jean-Denis Leduc, en entrevue téléphonique.

Il espère que le prochain budget fédéral révélera enfin l'octroi des 1,8 million de dollars, pour que commence enfin l'agrandissement qui permettra au théâtre d'accueillir 15 000 spectateurs de plus par année. À La Licorne, avec raison, on commence à en avoir un peu marre de refuser à la porte des spectateurs. C'est bien joli de jouer à guichets fermés, mais pendant ce temps, de nombreux potentiels acheteurs de billets sont privés de bon théâtre.

«On a attendu assez longtemps. Il me semble que c'est notre tour», estime bien modestement le directeur de La Licorne, qui rêve d'une salle de 180 à 200 places pour la «grande» Licorne, et de 90 pour la «petite.»

«Lorsqu'on prétend vouloir faire de Montréal une ville culturelle, je ne suis pas certain de quoi ou de qui on parle dans ces beaux discours. Je n'ai rien contre les grands événements, contre le Quartier des spectacles, mais j'espère qu'on ne laissera pas La Licorne tomber dans une craque du plancher», lâche Jean-Denis Leduc, qui a aussi des rêves pour Montréal. Par exemple, il aimerait que la métropole s'inspire de villes comme Édimbourg, où les grands opéras comme les nombreuses scènes de théâtre trouvent leur place et leur public.

Plusieurs ignorent peut-être que c'est parfois dans les petits théâtres voisins des bingos que naissent les spectacles les plus innovateurs, actuels et décapants. Allez faire un tour à La Licorne pour vous en convaincre. Mais bonne chance pour obtenir des billets.

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