Robert Lepage fait un retour aussi remarqué que contesté à Londres avec son adaptation de l'opéra The Rake's Progress de Stravinsky.

«Charmant», «fabuleux», «ingénieux»: les épithètes qui fusaient mercredi dernier à la sortie de l'adaptation de Robert Lepage de l'opéra The Rake's Progress à Londres étaient pour le moins flatteuses. Beaucoup plus flatteuses en tout cas que celles employées par les critiques des principaux quotidiens londoniens.

Si les spectateurs ont particulièrement apprécié les trouvailles visuelles de Lepage et les voix de Charles Costronovo et de Sally Matthews, les critiques, eux, n'ont guère digéré que le Québécois transpose l'histoire de Londres à Hollywood. «Il y a juste un petit problème: The Rake's Progress est «complètement» Londres», déplore le critique de The Independent, en choeur avec ceux du Times, du Guardian ou du Daily Telegraph.

Composé entre 1948 et 1951 par Igor Stravinsky sur un livret de Wystan Hugh Auden et de Chester Kallman, The Rake's Progress («La carrière d'un libertin») est censé se dérouler dans les faubourgs glauques et dépravés de Londres au XVIIIe siècle. Sans le sou, le jeune Tom Rakewell (Charles Costronovo) hérite d'une fortune du jour au lendemain. Quittant la campagne et sa petite amie Anne Trulove (Sally Matthews) pour aller récupérer son butin à Londres, l'innocent jeune homme s'égare dans le vice et les filles faciles.

Plutôt que de suivre le livret à la lettre, Lepage a décidé de transposer cette fable morale dans l'Ouest américain des années 50. Tom Rakewell y devient une vedette hollywoodienne adulée. L'excuse pour cette transposition? Stravinsky et Auden ont créé cet opéra alors qu'ils vivaient à Los Angeles.

Le problème? Si, visuellement, l'action se déroule entre Hollywood et Las Vegas, les paroles, elles, continuent de faire référence à Londres, rendant la situation quelque peu confuse par moments.

Le ténor américain Charles Costronovo défend le choix de Robert Lepage. «Cela fonctionne parfaitement. Il m'apparaît évident qu'Hollywood est la place parfaite pour être séduit et corrompu, rigole-t-il. Comme j'ai grandi à Los Angeles, je peux voir que cela sied parfaitement à la production.»

Malgré tout, le ténor admet comprendre la déception des critiques londoniens. «Je suppose que si un opéra se déroulait à Los Angeles, ma ville natale, et qu'on le transposait sur la Lune ou n'importe où ailleurs, j'aurais probablement la réaction de dire: hé, attendez un instant», reconnaît-il.

Fidèle à son habitude, Robert Lepage propose également une scénographie spectaculaire, signée Carl Fillion. «Jamais une scène de Covent Garden (NDLR: le quartier des spectacles) n'aura aussi bien été mise à profit», assurait Michael Cooper Mitchell en sortant de la Royal Opera House. Le spectateur avait déjà vu deux autres versions de cet opéra.

D'une scène à l'autre, un puits de pétrole se transforme en grue de caméra, un couple est littéralement aspiré dans les profondeurs d'un lit et de la scène, tandis qu'une roulotte gonflable arrive de nulle part et disparaît par le plafond. Ces transitions humoristiques sur fond d'écran géant sont pour le moins ingénieuses.

«J'ai peur de penser au prix qu'ont dû coûter les décors de Carl Fillion, mais ils valent leur prix jusqu'au dernier cent», a noté le critique de l'agence Bloomberg. Heureusement pour la Royal Opera House de Londres, la facture a été partagée avec les opéras de Bruxelles, Lyon, Madrid et San Francisco.

Après The Rake's Progress, Robert Lepage aura une autre chance de conquérir les critiques londoniens cette année avec sa nouvelle pièce Lipsynch. Mais pour cela, il faudra que les critiques assistent aux neuf heures (!) que doit durer chacune des représentations.

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Extrait : www.youtube.com/watch?v=TVW_M7aC4gM