Ottawa ne subventionnera plus les tournées des artistes canadiens à l'étranger. L'unique programme qui jouait ce rôle, Promart, sera en effet aboli le 31 mars prochain «pour des raisons budgétaires» et aussi parce que le gouvernement n'aime pas certains des groupes ayant reçu du financement par le passé, a confirmé vendredi le cabinet du ministre des Affaires étrangères.

Promart était doté d'une enveloppe de 4,7 millions $ par an qui servait principalement à défrayer une partie des coûts de déplacement d'artistes ou de troupes en tournée internationale. Plusieurs fleurons du milieu culturel, dont les Grands Ballets canadiens, le Cirque Eloize et Ex-Machina ont profité du programme au fil des ans.

«C'est avant tout une décision financière. Le gouvernement a des choix difficiles à faire», a affirmé la directrice des communications du ministre David Emerson, Anne Howland.

Le gouvernement admet toutefois que l'octroi de subventions à certains artistes jugés «radicaux» ou à des formations au nom vulgaire a aussi pesé dans la balance. «Nous avions en effet le sentiment que certains groupes ne correspondaient pas à ce que les Canadiens veulent projeter comme image sur la scène internationale», a indiqué Mme Howland.

Le quartet expérimental Holy Fuck en est un. L'an dernier, ces musiciens torontois ont reçu 3000 $ pour une tournée au Royaume-Uni. Leur musique électronique ne leur vaut à peu près que des éloges, mais le nom qu'ils ont choisi déplaît souverainement aux conservateurs. Tellement que Mme Howland n'a pas osé le prononcer en entrevue avec La Presse Canadienne.

Le fédéral promet de continuer à soutenir les arts à l'étranger, par l'entremise de Patrimoine canadien et du Conseil des arts du Canada.

La nouvelle a néanmoins eu l'effet d'une bombe et les artistes interrogés étaient incrédules, vendredi. Pour Alain Dancyger des Grands Ballets canadiens, il s'agit d'une catastrophe non seulement pour les entreprises mais aussi pour l'image du pays sur la scène internationale.

«Abolir ce programme équivaut à tuer l'ensemble du marché culturel à l'étranger», a-t-il prévenu de Paris, où sa troupe se produit depuis un mois grâce entre autres au soutien de Promart.

«Ça n'a pas de sens en termes de retour sur l'investissement et ça n'a pas de sens non plus en termes de l'excellence de l'image canadienne. Tout grand pays qui se respecte se doit d'avoir une économie florissante, mais souvent la mesure d'un pays florissant est le dynamisme de ses activités culturelles non seulement au pays mais aussi à l'étranger», a-t-il fait valoir.

D'après le directeur administratif du Cirque Eloize, Louis Lehoux, la disparition de Promart empêchera certaines troupes de faire des tournées. Il songe particulièrement aux compagnies de danse contemporaine et à celles qui se spécialisent dans le théâtre pour jeune public.

Le cirque devra quant à lui exiger plus d'argent des producteurs étrangers qui l'invitent, pour défrayer les coûts souvent considérables de transport de personnel et d'équipement.

«Mon sentiment, c'est qu'il est impossible que ça soit aboli. Si c'est aboli, ils vont en créer un nouveau sous un autre nom. On ne peut pas faire ça. La culture est notre meilleur ambassadeur à l'étranger pour se différencier des autres pays et ils le savent», a dit M. Lehoux.

Lui aussi très déçu, son collègue Nassib El-Husseini, du collectif Les 7 doigts de la main, promet de se battre pour convaincre les conservateurs de revenir sur leur décision. Au-delà des considérations financières, il en a contre la prétention du gouvernement de distinguer «ce qui est bon de ce qui ne l'est pas» en matière d'art et de création. «C'est de la censure», a-t-il martelé.

Pour leur part, les partis d'opposition y voient une nouvelle preuve de l'idéologie rigide de l'équipe du premier ministre Stephen Harper. Pour le Bloc québécois et le Parti libéral, cette décision est en droite ligne avec la disparition du Programme de contestations judiciaires et le projet de loi C-10 qui permettrait à Ottawa de couper les vivres à des films ou émissions de télévision jugés contraires à l'ordre public.

Le Nouveau Parti démocratique s'interroge de son côté sur la stratégie du gouvernement Harper, qui agit comme s'il voulait s'aliéner les citoyens des grandes villes et ceux du Québec, à la veille d'élections complémentaires et alors qu'un scrutin général dès cet automne n'est pas à écarter.