À Bonaventure, dans la Baie-des-Chaleurs, les soirées au camping sont égayées par une belle bande d'artistes au pied marin. Logé entre les nombreux «Winnebago» à deux pas de la plage, le Théâtre de la Petite Marée propose pendant la belle saison un spectacle «tous publics». Cet été, Dany Michaud y signe la mise en scène des Voyages de Muriel Velluleg, un texte de Stephan Cloutier, librement inspiré des Voyages de Gulliver. Faire du théâtre les orteils dans le sable, c'est le pied!

À notre arrivée au Camping Bonaventure, nous sommes accueillis par la sympathique tribu des Voyages de Muriel Velluleg. En tête de cette exubérante délégation bien bronzée par le soleil de la Baie-des-Chaleurs, il y a Dany Michaud, le metteur en scène, qui passe tout l'été en Gaspésie avec sa blonde, Suzanne Bolduc (comédienne dans le spectacle), et leurs rejetons, Marius et Lalou. Se prêtent aussi à l'entrevue les comédiennes Johanne Lebrun et Catherine Arsenault, leur comparse de scène Pierre-André Bujold ainsi que Francis Laporte, le président du Théâtre de la Petite Marée. Plus tard se joindront d'autres complices accompagnés de leur progéniture respective.

À la Petite Marée, le théâtre est une affaire de famille.

«Notre mandat est d'interpeller les enfants tout en intéressant les adultes. Il y a de la vie dans la salle: les enfants participent, parlent, rient, s'expliquent des choses. Et il y a aussi des gens âgés qui viennent voir le spectacle», évoque Dany Michaud, qui soutient que la Petite Marée, pour plusieurs petits et grands, est une porte d'entrée sur le théâtre. «C'est un mandat important: une majorité des hommes de 35 à 40 ans qui viennent nous voir avec leurs enfants ne sont jamais allés au théâtre de leur vie. On se fait souvent dire, après le spectacle, que «c'est bon, ces affaires de théâtre-là», que ce n'est pas «si pire que ça»», s'amuse Michaud.

Revenir à la mer

Pour Johanne Lebrun, Les voyages de Muriel Velluleg est une rare occasion de jouer dans sa région natale. Celle qui a, pendant 15 ans, roulé sa bosse en ville - on l'a notamment vue dans la pièce Chasseurs au Quat'Sous et dans le film C.R.A.Z.Y - est revenue s'installer en Gaspésie il y a deux ans.

«J'ai rencontré un gars d'ici et je viens d'avoir un bébé. Par contre, j'ai gardé mon agent à Montréal et je continue de faire des contrats en pub et en voix. Je n'ai pas ressenti de baisse de qualité de vie. Au contraire, je vis dans la nature», relate la belle brune au léger accent gaspésien.

Comme Johanne Lebrun, Pierre-André Bujold a choisi de quitter la ville pour pratiquer son art dans sa région natale. Et il s'en tire plutôt bien, depuis qu'il est rentré au bercail, il y a six ans. «À Montréal, je manquais d'air», exprime le chanteur du groupe Les Hameçons salés. «Ici, j'enseigne dans les écoles secondaires en art dramatique, je fais des mises en scène au cégep, en parascolaire, je donne des ateliers. Et puis je fais toutes sortes d'autres choses: je cultive des jardins, j'élève des cochons...»

Originaire du Bas-Saint-Laurent, Dany Michaud aspire lui aussi à faire une migration «partielle» en Gaspésie. Et il est convaincu que plusieurs de ses confrères de scène feraient de même si le travail était plus foisonnant en région. «C'était le combat de Pierre Curzi, à l'Union des artistes, de régionaliser la culture. Les gens ici paient les mêmes taxes que partout ailleurs au Québec, ils ont droit à leur part. Il y a une effervescence locale. Élie Laliberté veut implanter un bureau de production cinématographique. Vic Pelletier le fait à Matane, Jean Guénette à Carleton...»

Or, pour assurer la viabilité des compagnies, il faut un ancrage régional. Une stratégie pour aller chercher les fonds nécessaires. «C'est facile d'aller chercher des commanditaires quand tu montes une pièce à La Licorne. Mais je pense à Gary Boudreault, à Carleton, qui fait une méchante job de bras pour que survive son théâtre. C'est la même chose ici, à la Petite Marée. Pour attirer du public, il faut qu'on fasse de la promotion à la radio et qu'on en parle mur à mur.»

Depuis sa création en 1994, le Théâtre de la Petite Marée privilégie un théâtre «philosophique, intelligent et sensé». Chaque année, il adapte un classique de la littérature. En 2007, par exemple, on présentait dans cette petite salle une adaptation du Vieil homme et la mer signée Reynald Robinson. L'année prochaine, la petite compagnie compte produire une version réduite de La tempête de Shakespeare, par Alice Ronfard.

Pas toujours facile de faire de la création, dans un contexte où le public s'attend à se taper les cuisses comme au théâtre d'été «classique». Parce que pour plusieurs personnes, ce type de divertissement se résume avant tout au repas et à la petite bière sur la terrasse, le spectacle étant à la limite accessoire. «Les théâtres privés ne peuvent se permettre de prendre autant de risques, pense Francis Laporte. Même nous qui sommes subventionnés, on en arrache.»

La lutte est perpétuelle, mais la plage est juste à côté. Ainsi vogue la Petite Marée.

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Les Voyages de Muriel Velulleg, de Stéphan Cloutier, inspiré librement des Voyages de Gulliver de Jonathan Swift, mise en scène de Dany Michaud, jusqu'au 9 août au Théâtre de la Petite Marée.