Un samedi soir de juin, Ami Karim se produit au Divan du Monde, charmante salle plantée en plein Pigalle. L'auditoire est mixte, métissé, multigénérationnel, avec pour seuls dénominateurs communs la région parisienne et un intérêt marqué pour le slam, cette forme littéraire encore jeune... qui a ses supporteurs et ses détracteurs.

Originaires de Saint-Denis comme l'est Ami Karim, Grand Corps Malade et S Petit Nico viennent partager la scène de leur hôte, et parfois lui donner la réplique. Soirée réussie à n'en point douter, si bien sûr on kiffe la forme, pour employer un verbe devenu courant chez les Gaulois.

Ami Karim provient d'un mariage mixte, «ce qui n'était pas facile à l'époque et ce qui n'est toujours pas facile», expose le slammeur, venu à ma rencontre dans un café du 20e. Son père est algérien et a grandi en banlieue parisienne. Sa mère est française.

La fierté de sa mixité est d'ailleurs le thème du texte phare de son premier album, Éclipse totale. Lorsqu'il l'a déclamé en public pour la première fois, sa mère a pleuré. Son oncle, lui, n'a pu être ému: il était séropositif et a péri d'un cancer du foie. D'où cet autre texte du neveu, qui était aussi son ami: Il a dit au revoir.

De classe (très) moyenne, les parents d'Ami Karim ont fait des sacrifices pour l'envoyer à l'école privée. «C'était très élitiste, c'était «marche ou crève», je n'étais pas à l'aise là-dedans. J'étais toujours tiraillé entre l'effort financier de mes parents et ce milieu qui m'emmerdait.» Or, sur la route d'Ami Karim s'est trouvé Mme Odile Rouvé. «Cette enseignante a été attentive alors que j'étais dur, pas simple, pas facile. Elle a su me prendre du bon côté, et c'est grâce à elle si j'ai pu faire des études supérieures.» On ne s'étonnera pas de la touchante Ode à Odile, la 18e au menu de l'album d'Ami Karim.

L'envie d'écrire

Non seulement Mme Rouvé lui a-t-elle donné l'envie d'apprendre, mais aussi l'envie d'écrire: «Je gratouillais déjà, mais sous son influence, j'ai commencé à écrire mes premiers textes vraiment travaillés.» Ami Karim dit avoir toujours créé en quatrains, une structure on ne peut plus éprouvée. «J'essaie de varier la forme, mais j'ai un truc avec la rime. Si tu parles de Fabien (Grand Corps Malade), Sancho ou moi, notre écriture peut aussi être associée au hip-hop parce qu'on a écouté beaucoup de rap. Alors que d'autres slammeurs viennent carrément de Verlaine, Rimbaud et Baudelaire.»

Chose certaine, la rime est préconisée par une majorité absolue de slammeurs. «Vu qu'on raconte des choses pas toujours mignonnes, la rime rend les récits un peu plus attractifs. Le slam n'a pas besoin d'artifices, mais la rime est ce petit truc en plus qui frappe l'oreille», justifie l'interviewé.

Ami Karim s'est fait slammeur en 2003: «À Saint-Denis, les soirées de slam se tenaient au Café culturel. Au début je n'ai pas du tout aimé ces textes souvent sombres, tristes, glauques. Je suis revenu six mois plus tard et j'ai changé d'avis. J'écrivais alors au comptoir pendant que les autres déclamaient... Mes sujets étaient assez légers, mes textes n'étaient pas très construits. Puis j'ai travaillé davantage chez moi.»

Le succès d'Ami Karim est encore modeste. Sorti en février, Éclipse totale n'a vraiment pas créé l'impact de Grand Corps Malade – 700 000 exemplaires du premier album, 200 000 du deuxième. «Faut être clair: quand tu arrives après Fabien (GCM), c'est dur. Il a centralisé tous les regards, mais je n'ai rien à lui reprocher. C'est un ami, je suis ravi pour lui, d'autant plus qu'il participe encore régulièrement aux spectacles des slammeurs moins connus.»

On ne peut parler à un slammeur qui monte sans aborder l'effet de ressac au sujet de la forme littéraire qu'il préconise. Si le slam a conquis des centaines de milliers de jeunes, on ne peut ignorer ses détracteurs et autres lettrés qui font des gorges chaudes. Ami Karim hausse les épaules.

«Un chroniqueur de télé a déjà dit à Fabien qu'il faisait des textes d'école élémentaire. Moi j'ai envie de répondre en posant la question: ces 900 000 mecs qui ont acheté ses albums sont-ils tous incultes? Je ne suis pas certain. En tout cas, je ne me considère pas poète – je trouve ça un peu prétentieux –, mais je n'écris pas mes textes en trois heures. C'est un vrai travail. Qu'on dise que c'est de la poésie de bas étage, ça ne me touche pas du tout. Il y a de la place pour tout le monde, tous les types de littérature peuvent coexister. Et la force du slam est de frapper à la porte de tout le monde.»

Ce soir, 19h, place Loto-Québec. Avec Ivy, demain, 22h, au Cabaret Juste Pour Rire. S Petit Nico demain à L'Espace Vert Desjardins à 17h.