Il a fait équipe avec Keren Ann, composé et écrit, pour Henri Salvador, réalisé et arrangé entre autres pour Julien Clerc, Françoise Hardy, Juliette Gréco, Stephan Eicher ou Isabelle Boulay. L'ex de Chiara Mastroianni a six albums originaux à son actif (en incluant une bande originale), il nourrit toujours de grandes ambitions au plan artistique, espère qu'on lui fiche la paix lorsqu'il entre studio.

Dans ce vieux studio d'enregistrement du Quartier Latin, il est assis paisiblement dans un coin. On lui serra la pince et l'on constate que les augures sont favorables : il se montre ouvert à une longue conversation.

Avant même que j'aie eu du succès, on a dit que j'avais une attitude... Je ne suis pas arriviste mais je suis très ambitieux. Par rapport à moi-même, par rapport à la musique», résume le principal intéressé.

Benjamin Biolay pourrait être ce Français assuré (vieux cliché) que le Québécois inhibé (autre cliché) redoute de face et méprise de dos. Le ton péremptoire de certaines répliques, ces épaules toujours prêtes à être haussées, cette moue d'enfant terrible, tous ces traits de personnalité peuvent produire quelque désagrément. Or, il y a aussi le haut niveau de sa culture musicale, son humour acéré, son talent inéluctable. Benjamin Biolay est un fantasque digne d'intérêt, de surcroît doué, très intelligent... et même attachant.

Chose certaine, il sait dans quoi il s'embarque en se produisant une première fois aux Francos montréalaises: «Je suis super pas connu au Québec. Donc, je ne m'attends à rien. Mais je suis super content d'y aller tout en sachant que je n'ai absolument pas le profil du musicien français populaire.»

Il annonce qu'il viendra à trois. «Cette formule est très vivante; je peux passer de la guitare aux claviers ou encore au piano, et je suis très connecté aux autres musiciens. Il y a aussi des séquences préenregistrées, mais surtout, des moments de toute liberté, des moments de composition en direct. Si on se laisse aller, c'est cool, car on peut se permettre des digressions futuristes. Rien à voir avec la dynamique des enregistrements. Une fois qu'on a chanté ce que les gens veulent entendre, pourquoi ne pas aller ailleurs et créer une version inédite?»

Poser la question...

Benjamin Biolay n'a jamais chanté au Québec, une peur de l'avion (éradiquée depuis) aurait ralenti ses transports. Au tournant de cette décennie, cependant, il est venu travailler à Montréal afin d'y réaliser un album d'Isabelle Boulay, Mieux qu'ici bas – ce qu'il a refait pour la chanteuse en 2004, cette fois pour l'album Tout un jour.

«Je l'adore, elle est exceptionnelle. Et elle a toujours écouté de la bonne musique. Elle a toujours fait la part des choses: ce qu'elle devait faire pour son travail de chanteuse de variété et ses propres goûts... Et si on écoute ses deux derniers albums, elle nous montre où elle a vraiment envie d'aller.»

Excellent compositeur, arrangeur chevronné, maître des références pop, Biolay est toujours sollicité en tant que réalisateur d'albums.

«Je viens de le faire pour le prochain album de Julien Clerc, un grand musicien. Harmoniquement, il est rare qu'on ait la chance de travailler avec des chanteurs qui ont une telle connaissance la musique. Il est l'artiste le plus impressionnant avec qui j'ai travaillé, enfin au même titre qu'Hubert Mounier, autrefois de l'Affaire Louis Trio. J'ai réalisé les deux albums solo d'Hubert... qui sont un peu sortis dans l'indifférence. C'est toujours dur de quitter un groupe et d'arriver à la carrière solo. Mais il faut s'accrocher.»

Avec Biolay, on parlera de toutes les musiques. De jazz, de rock, de musique classique, de country, on en passe. On constatera qu'il s'intéresse à tous les genres. En France, quelles sont ses références?

Benjamin Biolay admire Alain Bashung dont il croit aux chances de guérison. «Se sortir d'un cancer du poumon? Ça peut arriver. Surtout lorsqu'il s'agit d'un soldat comme Bashung. Attention! Ce qu'il a réussi à imposer, ça n'arrive pas à la suite d'un consensus. Ça se produit à la suite d'une bataille avec le milieu, avec le public, avec tout le monde. Il a beau être panthéonisé, on ne se rend pas compte que ce qu'il a accompli résulte de longs et douloureux combats.»

Le modèle de Biolay? Non, ce n'est ni Bashung ni Gainsbourg à qui on l'associe encore. C'est Aznavour: «Il peut jouer en Argentine devant 20 000 personnes! Il a compris qu'il avait quelque chose de différent. On nous saoule toujours avec Brel, Brassens, Ferré. Mais on oublie Trenet et Aznavour. Sans Trenet, il n'y a personne après. Personnellement, j'essaie de suivre le modèle opiniâtre d'Aznavour en jouant dans plusieurs pays. Je fais des salles pleines en Allemagne, en Espagne, au Chili, au Brésil, 5000 personnes à Buenos Aires.»

Associé d'abord à la relance de feu Henri Salvador pour son travail (avec Keren Ann) dans le superbe album Chambre avec vue, Benjamin Biolay avait vécu une vraie lune de miel avec le monde de la pop française. On avait vite reconnu son talent de songwriter, d'arrangeur, de multi-instrumentiste et de réalisateur, on avait loué sa maîtrise des genres.

Puis on a su qu'il s'était marié à Chiara Mastroianni, qui se passe de présentation et avec qui il a eu un enfant. Et de qui il a divorcé par la suite. D'aucuns ont d'ailleurs associé ses déboires conjugaux à la noirceur de

ses derniers enregistrements (notamment dans l'album Trash yéyé).

L'été dernier, par ailleurs, il n'était certes pas au meilleur de sa forme lorsqu'il a déversé son fiel dans un numéro du magazine Technikart, sur certains protagonistes de la «nouvelle chanson française» tels Bénabar et Zazie, sans oublier de tirer à boulets rouges sur Henri Salvador - qui l'avait renié confusément, on en convient. Propos que Biolay dit avoir regrettés par la suite...

Sans établir de lien direct avec sa vie privée, il reconnaît avoir emprunté un long tunnel. «L'avant-dernier album était remarquablement sombre, mais le dernier était plutôt solaire, musicalement à tout le moins. Les textes de Trash Yéyé n'étaient pas noirs, c'est vrai qu'ils étaient parfois mélancoliques. Un peu de gris, aussi un peu de rouge...»

En 2008, en tout cas, ça a plutôt l'air de bien aller pour l'animal, puisqu'il prévoit même enregistrer des duos avec son ex. «Nous sommes en très bons termes. C'est pas grave, on est juste divorcés. Ça arrive...»

On sent aussi que l'artiste de 35 ans, dont les graves susurrements ne sont pas sans rappeler Gainsbarre, est beaucoup moins référentiel qu'il ne le fut. On lui passe la remarque, il accepte le compliment.

«Moi-même je ne sais plus qui j'écoute, qui j'aime. Bien sûr, j'aime beaucoup la musique anglo-saxonne, et j'essaie de faire de la chanson française avec mes grosses références. On m'a déjà dit que j'aimais Voulzy, j'ai alors rétorqué que je n'avais pas un seul disque de Voulzy... mais que j'aimais McCartney comme lui. Et, à un moment je me suis retrouvé sur le même petit sentier que tous les artistes français: Trenet, Ferré, Bécaud, Aznavour, etc.»

Issu d'un milieu modeste de la région lyonnaise, Biolay n'est pas le jet-setter que certains imaginent encore.

«Je suis correct financièrement, résume-t-il. Si je peux être très riche un jour, ce sera tant mieux mais puisque ça n'arrive que très rarement... Je ne fais pas une vie de prince, même si j'ai un peu flambé au début de ma carrière. Ce qui compte, c'est nourrir ma famille, me loger, faire de la musique.»

Voilà qui est rassurant pour la vision qu'on peut avoir de Biolay, les moteurs de son existence étant la famille et la création: «Dans la mesure où j'ai toujours eu envie de faire de la musique, ça a toujours été exaltant pour moi d'entrer en studio. Bien sûr, j'ai un peu levé le pied par rapport aux débuts de ma carrière. J'ai une petite fille de cinq ans, c'est bien plus important que le reste.»

Quant à la musique et la chanson, le désir d'indépendance l'emporte clairement sur toute autre considération: «Je sais que la musique reste un combat. Qu'il faut parfois lancer un pavé dans la mare. Moi, je veux qu'on me foute la paix. Qu'on me donne le budget pour aller en studio et qu'on ne m'emmerde plus pendant que j'y suis. Après, je suis prêt à aller faire le beau à la télévision... Mais dans ce moment privilégié qu'est celui de la création, je veux la paix.»

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En trio, Benjamin Biolay se produit ce soir, 19 h, au Club Soda. Il sera précédé du groupe Coeur de pirate.